jeudi 12 septembre 2013

Introduction : le 11 Septembre 2001 à 8h46

Dans un article prémonitoire, datant de 1972, l’historien Pierre Nora fournit de précieux indices pour analyser le 11 Septembre :

C’est aux mass media que commençait à revenir le monopole de l’histoire. Il leur appartient désormais. Dans nos sociétés contemporaines, c’est par eux et par eux seuls que l’événement nous frappe, et ne peut pas nous éviter 1)

Le 11 Septembre 2001 à 8h46, la face du monde occidental a clairement changé. Un avion s'écrase contre l'une des deux tours du World Trade Center, à New York. Ce qui aurait pu n’être qu’un accident, n'est en fait que le premier d'une série d'attentats sans précédent, qui plonge en quelques heures les États-Unis dans l'horreur. Au total, quatre avions de ligne ont été détournés par des terroristes, .et causent la mort de 3000 personnes. Le 11 Septembre 2001 met clairement fin à une période historique et par la même en ouvre une nouvelle peut-être plus dangereuse.
Peu d'événements américains ont reçu pareille couverture médiatique. Le lieu choisi qui s’avère être l’une des villes les plus connues au monde, ainsi que l'observation en direct du crash du second avion puis de l'effondrement des tours, ont mené à une médiatisation sans précédent. Pendant une demi-journée, l'attention de centaines de millions de personnes a été tournée vers le nord-est des États-Unis.
C’est pourquoi on associe sans aucun doute aujourd’hui le mot « terrorisme » au drame du 11 Septembre 2001. Pourtant, ce mot, qui s’avère être un terme essentiel de notre recherche, est apparu pour la première fois au 18eme siècle en France lors de la révolution Française, alors que les Etats-Unis étaient seulement une jeune Nation en pleine construction et elle aussi en quête d’indépendance.2) Les méthodes terroristes existaient déjà mais c’est pendant le régime de la Terreur, lorsque le Comité de Salut Public dirigé par Robespierre exécutait toute personne considérée comme « contre révolutionnaire », que le mot terroriste prit tout son sens. 3)
Terroriser ainsi est devenu au fil du temps un nouveau moyen de prosélytisme, et le mot a plus tard évolué pour désigner toute action violente visant spécifiquement les populations civiles, dans le but de les détruire, les mutiler ou les tuer3). De telles attaques ont pour but de promouvoir des messages à caractère politique ou religieux par la peur, différenciant ainsi le terrorisme des actes de résistance qui visent à se libérer d’un régime dictatorial ou d’une occupation, en détruisant les institutions politiques des occupants ou en assassinant ses représentants.
Si les attaques du 11 Septembre 2001 ont clairement marqué un tournant de l’Histoire Occidentale, il ne faut pas oublier qu’elles n’ont pas été les premières. « Février 1993 » n’a pas la même résonance que « Septembre 2001 », mais ces attentats touchaient eux aussi le World Trade Center4). 6 morts contre 3000 : il est indéniable que le nombre de pertes a largement contribué au quasi « désintérêt » mondial de cet événement. Le Pakistanais Ramzi Youssef, membre de la confrérie des Frères musulmans et commanditaire de ces attaques, en effet, ne connaît pas la même « notoriété » que Oussama Ben Laden.
Les Etats-Unis, bien que victimes, ne sont cependant pas totalement étrangers à ce genre de pratiques.

Les Etats Unis sont, après tout, la seule nation condamnée par la Cour Mondiale du Terrorisme International. 5)

On n’ignore plus le coup d’état militaire qui conduisit à l’extermination du président élu de gauche, Salvador Allende, au Chili, ou encore les mines déposées entre 1982 et 1988 et l’organisation d’une lutte armée de « para-militaires » au Nicaragua6). Arrivés au pouvoir en 1979, les sandinistes s'engagent dans une série de réformes que les États-Unis ne peuvent accepter. Ils apportent alors leur soutien financier et militaire aux « Contras » basés aux Honduras. En 1986, un scandale, « l'Irangate », révèle que le produit d'une vente d'armes américaines à l'Iran a servi à financer les groupes terroristes de la Contra. En 1990, les sandinistes sont écartés du pouvoir à la suite d'élections libres. Ainsi, diffuser sa « destinée manifeste » se traduit également par une terreur indirecte mais bien présente pour la première puissance mondiale.
Depuis 1812, et leur « seconde guerre d’indépendance » les Etats-Unis n’avaient jamais été si violemment attaqués sur leur territoire. Bien que « Pearl Harbor » fût un choc considérable pour les Américains et la population occidentale, l’attaque restait tout de même assez éloignée du continent.
Parallèlement, pour un pays tel que la France, les attaques terroristes n’ont pas connu le même impact. Souvenons-nous des bombes posées par des Iraniens en 1986, en représailles à la livraison de missiles au régime de Saddam Hussein en Irak. Ou encore, des attentats dans le métro parisien en 1995 par le GIA (Groupe Islamiste armé). La France, son gouvernement ou même ses médias, ne sont pas entrés dans une lutte sans merci contre le terrorisme, et ne se sont pas posés comme défenseurs du monde libre.
Le 11 Septembre 2001, par le nombre de ses victimes, a changé le monde tel que nous le connaissions. La vulnérabilité des Etats-Unis, première et seule superpuissance, a été exposée en direct sur toutes les chaînes mondiales. Un tel choc s’est traduit par des mesures draconiennes prises au lendemain du drame. Le « USA Patriot Act » (Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism Act ou en français Loi pour unir et renforcer l'Amérique en fournissant les outils appropriés pour déceler et contrer le terrorisme) ne s’est pas fait attendre puisque il a été ratifié le 26 Octobre 2001. Cette loi renforce énormément les pouvoirs des différentes agences gouvernementales des États-Unis (FBI, CIA, NSA et l'armée) et diminue le pouvoir de la défense. Au départ loi d’exception, prévue pour seulement 4 ans, elle est prolongée en Juillet 2005. Cette loi est l'objet de vives critiques, notamment des organisations de défense des droits de l'Homme et des juristes, qui la considèrent comme « liberticide ». Selon eux, les libertés individuelles ont été largement diminuées au profit de la répression policière.
C’est ce USA Patriot Act qui pose cependant George W. Bush comme « l’homme qui tombe à pic », le seul à pouvoir se battre contre le terrorisme, lui dont le programme initial n’avait rien d’unificateur. Protéger la Nation et s’engager à la défendre à tout prix est ainsi devenu le maître mot du programme conservateur. Ben Laden, l’Irak sont devenus de nouveaux ennemis à exterminer, ennemis nécessaires pour une superpuissance en mal de guerre.
Ce bouleversement juridique, par rapport à la tradition anglo-saxonne des libertés individuelles, s’est également accompagné d’une refonte de l’administration fédérale avec la création, en novembre 2002, du département de la Sécurité territoriale (qui regroupe vingt-deux agences spécialisées dans la protection du territoire (immigration, sécurité civile, douanes, etc.).
Le 11 Septembre n’a pas fini de faire parler de lui. Encore aujourd’hui point de discorde entre plusieurs pays, la guerre en Irak qui découle directement du 11 Septembre est devenue un sujet de débat passionné pour tout occidental. Parler du 11 Septembre est devenu à la mode. Thème abordé de façon partisane par certains, de façon plus réfléchie par d’autres, la tendance est au refus d’une lutte contre le terrorisme trop extrême, en France comme aux Etats-Unis. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Après un soutien sans faille pour son président, l’opinion publique a changé de camp.
Le New York Times, le plus prestigieux des journaux américains, le journal de référence de la gauche libérale américaine, a-t-il lui aussi perdu pied dans cette guerre des médias, cette guerre du scoop et cet élan patriotique démesuré ? À l’origine, le « quatrième pouvoir » médiatique, né aux États-Unis, était une sorte de contre-pouvoir visant les trois autres (exécutif, législatif, judiciaire) pour défendre le peuple qui lui, était sans voix.
Le New York Times jouissait du plus grand prestige au sein de tous les médias américains et son influence est même devenue sujet d’analyse de plusieurs chroniqueurs de divers journaux. Dans cet article pour le Hartford Courant, le professeur de journalisme, Paul Janensh, déclarait :

Le Times n’est pas un journal comme les autres. Il est englouti chaque matin par des meneurs d’opinion à New York, Washington et dans tout le pays. Virtuellement, chaque nouvelle opération dans le pays, ou dans le monde, est influencé par ce que le Times met en page 1  7)

Auréolés de prestige après le Watergate, les médias américains sont aujourd'hui au centre de toutes les attaques. Avec un événement de la dimension des attentats du 11 septembre, dont New York, capitale des médias, a été l'une des cibles, et la pente est difficile à remonter. Selon the Code of Conduct for the News and Editorial Departments, le New York Times est ainsi décrit:

Le NYT est conforme aux responsabilités solennelles du premier amendement et s’efforce de maintenir les plus hauts standards de l’étique journalistique  8).

Ces “dix commandements” du bon journaliste instaurent une ligne directrice morale et éthique qu’il se promet de suivre sans faille. Le 11 Septembre, l'Irak et George W. Bush ont-ils oui ou non eu raison de la liberté d'expression, consacrée par le célèbre premier amendement ? Avec plus d’un million d’exemplaires par jour, l’influence du NYT est évidente. Fondé le 18 septembre 1851 par Henry Jarvis Raymond et George Jones, le NYT gagne son premier prix Pulitzer en 1918 pour son reportage sur les événements de la Première Guerre Mondiale.9)
Manifestement, entre l’exposé de George Walter Bush, devant le Conseil de sécurité des Nations Unies le 12 septembre 2002, et la fin 2003, les médias américains sont passés d’une situation de confiance quasi absolue, voire de « suivisme patriotique » sans faille, à celle alliant prudence, distance, voire défiance plus conforme à la tradition, la presse quotidienne et les news magazines y souscrivant bien davantage que les chaînes de radio et de télévision relevant de grands groupes à finalités commerciales marquées.
Cependant, depuis le 11 septembre et plus particulièrement depuis la fin « officielle » de la guerre en Iraq, les médias américains peuvent-ils encore constituer un modèle pour les démocraties modernes? Comme Crozier l’affirmait à l’époque pour le « modèle américain » à ce moment, on peut dire qu’« il n’y a plus de grand frère » pour les médias des pays démocratiques. Dans la perspective de la conquête de l’espace médiatique mondial et de la place que les grands médias nationaux ou transnationaux cherchent à y occuper, la réponse n’est pas non plus sans lourds enjeux pour l’orientation donnée aux systèmes sociaux démocratiques.
Dès le 12 Septembre, malgré le traumatisme évident de la nation américaine, la Guerre contre le terrorisme a été largement relayée par le NYT. Son influence sur l’opinion publique ne laisse aucun doute et il va de soi que la vision donnée par un journal aussi diffusé que le New York Times a eu un impact certain sur la population américaine ainsi que l’opinion internationale. Quelle a été cette vision ? Le New York Times s’est-il placé comme détenteur d’une vérité sur le bien-fondé d’une lutte anti-terrorisme ?
De l’autre côté de la rive, entre choc et dérives, les médias ont fait face à leurs limites. Le journalisme américain n’est pas sorti indemne de ce drame et l’effondrement des tours jumelles a donné aussi lieu à l’effondrement d’une certaine impartialité. Les mots, nouvelle arme contre le terrorisme, ont aveuglé journalistes et lecteurs, pris dans un même tourbillon. Après une prise de conscience de ses échecs, le New York Times a récemment avoué son manque d’objectivité dans la couverture de la guerre en Irak. Quel a été le rôle de cette presse toute puissante ? Le quatrième pouvoir américain se serait-il laissé emporté par un élan nationaliste au détriment de son objectivité quasi-légendaire ? Les médias aurait ils été plus sensationnalistes qu’informateurs au lendemain des attaques ?
Après un coup de tonnerre dans un ciel jusqu’alors sans nuages, après un jour de terreur pour le monde occidental, les médias américains ont été chargés d’une lourde mission : exorciser cette panique mondiale par la recherche d’un coupable, oscillant entre voyeurisme, patriotisme exacerbé et quête de véritables informations.
Il n’est pas facile en temps de guerre, comme en toute sorte de crise, de trouver la juste balance entre ce qui devrait être dit, et ce qui ne devrait jamais être caché au lecteur d’un journal aussi influent que le Times. A-t-on le droit de tout savoir ? Si oui, la presse et les médias nous en donnent-ils les moyens ?
L’objectivité ne peut être complètement appliquée et cela donne ainsi libre cours à toutes sortes de conduites « extrêmes », telles que la propagande, et la censure. Dans un pays démocratique comme les Etats-Unis, où la presse devrait être le 4eme pouvoir d’un système dit balancé et équitable, les stars de la presse ont vite perdu pied dans ce bourbier irakien.
Nous analyserons ainsi la chute vertigineuse d’une presse sans conteste fragilisée par le 11 septembre, sa soumission à un gouvernement peu scrupuleux, ainsi que la prise de conscience tardive de ses nombreux échecs lors de la couverture de la guerre anti-terroriste en Irak, et ses premiers pas vers plus de transparence et plus d’esprit critique.


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