Dans un article prémonitoire, datant de 1972,
l’historien Pierre Nora fournit de précieux indices pour analyser
le 11 Septembre :
C’est
aux mass media que commençait à revenir le monopole de l’histoire.
Il leur appartient désormais. Dans nos sociétés contemporaines,
c’est par eux et par eux seuls que l’événement nous frappe, et
ne peut pas nous éviter 1)
Le 11 Septembre 2001 à 8h46, la face du monde occidental a
clairement changé. Un
avion s'écrase contre l'une des deux tours du
World
Trade Center, à
New York. Ce qui aurait pu n’être qu’un accident, n'est en fait
que le premier d'une série d'attentats sans précédent, qui plonge
en quelques heures les États-Unis dans l'horreur. Au total, quatre
avions de ligne ont été détournés par des terroristes,
.et
causent la mort de 3000 personnes. Le
11 Septembre 2001 met clairement fin à une période historique et
par la même en ouvre une nouvelle peut-être plus dangereuse.
Peu d'événements américains ont reçu pareille couverture
médiatique. Le lieu choisi qui s’avère être l’une des villes
les plus connues au monde, ainsi que l'observation en direct du crash
du second avion puis de l'effondrement des tours, ont mené à une
médiatisation sans précédent. Pendant une demi-journée,
l'attention de centaines de millions de personnes a été tournée
vers le nord-est des États-Unis.
C’est pourquoi on associe sans aucun doute aujourd’hui le mot
« terrorisme » au drame du 11 Septembre 2001. Pourtant,
ce mot, qui s’avère être un terme essentiel de notre recherche,
est apparu pour la première fois au 18eme siècle en France lors de
la révolution Française, alors que les Etats-Unis étaient
seulement une jeune Nation en pleine construction et elle aussi en
quête d’indépendance.2) Les méthodes terroristes
existaient déjà mais c’est pendant le régime de la Terreur,
lorsque le Comité de Salut Public dirigé par Robespierre exécutait
toute personne considérée comme « contre révolutionnaire »,
que le mot terroriste prit tout son sens. 3)
Terroriser ainsi est devenu au fil du temps un nouveau moyen de
prosélytisme, et le mot a plus tard évolué pour désigner toute
action violente visant spécifiquement les populations civiles, dans
le but de les détruire, les mutiler ou les tuer3). De
telles attaques ont pour but de promouvoir des messages à caractère
politique ou religieux par la peur, différenciant ainsi le
terrorisme des actes de résistance qui visent à se libérer d’un
régime dictatorial ou d’une occupation, en détruisant les
institutions politiques des occupants ou en assassinant ses
représentants.
Si les attaques du 11 Septembre 2001 ont clairement marqué un
tournant de l’Histoire Occidentale, il ne faut pas oublier qu’elles
n’ont pas été les premières. « Février 1993 » n’a
pas la même résonance que « Septembre 2001 », mais ces
attentats touchaient eux aussi le World Trade Center4). 6
morts contre 3000 : il est indéniable que le nombre de pertes a
largement contribué au quasi « désintérêt » mondial
de cet événement. Le Pakistanais Ramzi Youssef, membre de la
confrérie des Frères musulmans et commanditaire de ces attaques, en
effet, ne connaît pas la même « notoriété » que
Oussama Ben Laden.
Les Etats-Unis, bien que victimes, ne sont
cependant pas totalement étrangers à ce genre de pratiques.
Les
Etats Unis sont, après tout, la seule nation condamnée par la Cour
Mondiale du Terrorisme International. 5)
On n’ignore plus le coup d’état militaire
qui conduisit à l’extermination du président élu de gauche,
Salvador Allende, au Chili, ou encore les mines déposées entre 1982
et 1988 et l’organisation d’une lutte armée de «
para-militaires » au Nicaragua6). Arrivés au pouvoir en
1979, les sandinistes s'engagent dans une série de réformes que les
États-Unis ne peuvent accepter. Ils apportent alors leur soutien
financier et militaire aux « Contras » basés aux
Honduras. En 1986, un scandale, « l'Irangate », révèle
que le produit d'une vente d'armes américaines à l'Iran a servi à
financer les groupes terroristes de la Contra. En 1990, les
sandinistes sont écartés du pouvoir à la suite d'élections
libres. Ainsi, diffuser sa « destinée manifeste » se
traduit également par une terreur indirecte mais bien présente pour
la première puissance mondiale.
Depuis 1812, et leur « seconde
guerre d’indépendance » les Etats-Unis n’avaient jamais
été si violemment attaqués sur leur territoire. Bien que « Pearl
Harbor » fût un choc considérable pour les Américains et la
population occidentale, l’attaque restait tout de même assez
éloignée du continent.
Parallèlement, pour un pays tel que la France, les attaques
terroristes n’ont pas connu le même impact. Souvenons-nous des
bombes posées par des Iraniens en 1986, en représailles à la
livraison de missiles au régime de Saddam Hussein en Irak. Ou
encore, des attentats dans le métro parisien en 1995 par le GIA
(Groupe Islamiste armé). La France, son gouvernement ou même ses
médias, ne sont pas entrés dans une lutte sans merci contre le
terrorisme, et ne se sont pas posés comme défenseurs du monde
libre.
Le 11 Septembre 2001, par le nombre de ses victimes, a changé le
monde tel que nous le connaissions. La vulnérabilité des
Etats-Unis, première et seule superpuissance, a été exposée en
direct sur toutes les chaînes mondiales. Un tel choc s’est traduit
par des mesures draconiennes prises au lendemain du drame. Le «
USA Patriot Act » (Uniting and Strengthening America by
Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct
Terrorism Act ou en français Loi pour unir et renforcer
l'Amérique en fournissant les outils appropriés pour déceler et
contrer le terrorisme) ne s’est pas fait attendre puisque il a
été ratifié le 26 Octobre 2001. Cette loi renforce énormément
les pouvoirs des différentes agences gouvernementales des États-Unis
(FBI,
CIA,
NSA
et l'armée)
et diminue le pouvoir de la défense. Au départ loi d’exception,
prévue pour seulement 4 ans, elle est prolongée en Juillet 2005.
Cette loi est l'objet de vives critiques, notamment des organisations
de défense des droits
de l'Homme et des
juristes, qui la considèrent comme « liberticide ».
Selon eux, les libertés individuelles ont été largement diminuées
au profit de la répression policière.
C’est ce USA Patriot Act qui pose cependant George W. Bush
comme « l’homme qui tombe à pic », le seul à pouvoir
se battre contre le terrorisme, lui dont le programme initial n’avait
rien d’unificateur. Protéger la Nation et s’engager à la
défendre à tout prix est ainsi devenu le maître mot du programme
conservateur. Ben Laden, l’Irak sont devenus de nouveaux ennemis à
exterminer, ennemis nécessaires pour une superpuissance en mal de
guerre.
Ce bouleversement juridique, par rapport à la
tradition anglo-saxonne des libertés individuelles, s’est
également accompagné d’une refonte de l’administration fédérale
avec la création, en novembre 2002, du département de la Sécurité
territoriale (qui
regroupe vingt-deux agences spécialisées dans la protection du
territoire (immigration, sécurité civile, douanes, etc.).
Le 11 Septembre n’a pas fini de faire parler de lui. Encore
aujourd’hui point de discorde entre plusieurs pays, la guerre en
Irak qui découle directement du 11 Septembre est devenue un sujet de
débat passionné pour tout occidental. Parler du 11 Septembre est
devenu à la mode. Thème abordé de façon partisane par certains,
de façon plus réfléchie par d’autres, la tendance est au refus
d’une lutte contre le terrorisme trop extrême, en France comme aux
Etats-Unis. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Après un
soutien sans faille pour son président, l’opinion publique a
changé de camp.
Le New York Times, le plus prestigieux des journaux
américains,
le journal de référence de la gauche libérale américaine, a-t-il
lui aussi perdu pied dans cette guerre des médias, cette guerre du
scoop et cet élan patriotique démesuré ? À
l’origine, le « quatrième pouvoir » médiatique, né
aux États-Unis, était une sorte de contre-pouvoir visant les trois
autres (exécutif, législatif, judiciaire) pour défendre le peuple
qui lui, était sans voix.
Le
New
York Times
jouissait du plus grand prestige au sein de tous les médias
américains et son influence est même devenue sujet d’analyse de
plusieurs chroniqueurs de divers journaux. Dans cet article pour le
Hartford
Courant,
le professeur de journalisme, Paul Janensh, déclarait :
Le
Times n’est pas un
journal comme les autres. Il est englouti chaque matin par des
meneurs d’opinion à New York, Washington et dans tout le pays.
Virtuellement, chaque nouvelle opération dans le pays, ou dans le
monde, est influencé par ce que le Times
met en page 1 7)
Auréolés de prestige après le Watergate, les médias américains
sont aujourd'hui au centre de toutes les attaques. Avec un événement
de la dimension des attentats du 11 septembre, dont New York,
capitale des médias, a été l'une des cibles, et la pente est
difficile à remonter. Selon the
Code of Conduct for the News and Editorial Departments, le
New York Times
est ainsi décrit:
Le NYT
est conforme aux responsabilités solennelles du premier amendement
et s’efforce de maintenir les plus hauts standards de l’étique
journalistique
8).
Ces “dix commandements” du bon journaliste instaurent une ligne
directrice morale et éthique qu’il se promet de suivre sans
faille. Le 11 Septembre, l'Irak et George W. Bush ont-ils oui ou non
eu raison de la liberté d'expression, consacrée par le célèbre
premier amendement ? Avec plus d’un million d’exemplaires
par jour, l’influence du NYT est évidente. Fondé le 18
septembre 1851 par Henry Jarvis Raymond et George Jones, le NYT
gagne son premier prix Pulitzer en 1918 pour son reportage sur les
événements de la Première Guerre Mondiale.9)
Manifestement, entre l’exposé de George Walter Bush, devant le
Conseil de sécurité des Nations Unies le 12 septembre 2002, et la
fin 2003, les médias américains sont passés d’une situation de
confiance quasi absolue, voire de « suivisme patriotique » sans
faille, à celle alliant prudence, distance, voire défiance plus
conforme à la tradition, la presse quotidienne et les news
magazines y souscrivant bien davantage que les chaînes de radio
et de télévision relevant de grands groupes à finalités
commerciales marquées.
Cependant, depuis le 11 septembre et plus particulièrement depuis la
fin « officielle » de la guerre en Iraq, les médias américains
peuvent-ils encore constituer un modèle pour les démocraties
modernes? Comme Crozier l’affirmait à l’époque pour le «
modèle américain » à ce moment, on peut dire qu’« il n’y a
plus de grand frère » pour les médias des pays démocratiques.
Dans la perspective de la conquête de l’espace médiatique mondial
et de la place que les grands médias nationaux ou transnationaux
cherchent à y occuper, la réponse n’est pas non plus sans lourds
enjeux pour l’orientation donnée aux systèmes sociaux
démocratiques.
Dès le 12 Septembre, malgré le traumatisme évident de la nation
américaine, la Guerre contre le terrorisme a été largement relayée
par le NYT. Son influence sur l’opinion publique ne laisse
aucun doute et il va de soi que la vision donnée par un journal
aussi diffusé que le New York Times a eu un impact certain
sur la population américaine ainsi que l’opinion internationale.
Quelle a été cette vision ? Le New York Times s’est-il
placé comme détenteur d’une vérité sur le bien-fondé d’une
lutte anti-terrorisme ?
De l’autre côté de la rive, entre choc et dérives, les médias
ont fait face à leurs limites. Le journalisme américain n’est pas
sorti indemne de ce drame et l’effondrement des tours jumelles a
donné aussi lieu à l’effondrement d’une certaine impartialité.
Les mots, nouvelle arme contre le terrorisme, ont aveuglé
journalistes et lecteurs, pris dans un même tourbillon. Après une
prise de conscience de ses échecs, le New York Times a
récemment avoué son manque d’objectivité dans la couverture de
la guerre en Irak. Quel a été le rôle de cette presse toute
puissante ? Le quatrième pouvoir américain se serait-il laissé
emporté par un élan nationaliste au détriment de son objectivité
quasi-légendaire ? Les médias aurait ils été plus
sensationnalistes qu’informateurs au lendemain des attaques ?
Après un coup de tonnerre dans un ciel jusqu’alors sans nuages,
après un jour de terreur pour le monde occidental, les médias
américains ont été chargés d’une lourde mission :
exorciser cette panique mondiale par la recherche d’un coupable,
oscillant entre voyeurisme, patriotisme exacerbé et quête de
véritables informations.
Il n’est pas facile en temps de guerre, comme en toute sorte de
crise, de trouver la juste balance entre ce qui devrait être dit, et
ce qui ne devrait jamais être caché au lecteur d’un journal aussi
influent que le Times. A-t-on le droit de tout savoir ?
Si oui, la presse et les médias nous en donnent-ils les moyens ?
L’objectivité ne peut être complètement appliquée et cela donne
ainsi libre cours à toutes sortes de conduites « extrêmes »,
telles que la propagande, et la censure. Dans un pays démocratique
comme les Etats-Unis, où la presse devrait être le 4eme pouvoir
d’un système dit balancé et équitable, les stars de la presse
ont vite perdu pied dans ce bourbier irakien.
Nous analyserons ainsi la chute vertigineuse d’une presse sans
conteste fragilisée par le 11 septembre, sa soumission à un
gouvernement peu scrupuleux, ainsi que la prise de conscience tardive
de ses nombreux échecs lors de la couverture de la guerre
anti-terroriste en Irak, et ses premiers pas vers plus de
transparence et plus d’esprit critique.
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