jeudi 12 septembre 2013

b) Propagande

Il semble qu'il soit impossible aux médias de proposer des discours sur le terrorisme véritablement indépendants des schémas d'interprétation dominants, marqués par le pouvoir politique. 74)

La propagande est une autre forme de la censure. Entravant la longue marche vers la vérité, elle a été au cœur de tous les conflits. Déjà, après la guerre de Sécession, le journaliste F. Colburn Adams déclarait de façon prémonitoire :

Le futur Historien de guerre aura une tâche difficile à accomplir: filtrer la vérité du mensonge qui apparaît dans les rapports officiels 75)

Et la guerre contre le terrorisme ne pouvait donc y échapper. Le 19 février 2002, le New York Times révélait que le Pentagone, conseillé par une agence privée de relations publiques, avait créé après le 11 septembre un Bureau d'Influence Stratégique ayant pour objectif de placer dans la presse internationale des informations, vraies ou fausses, favorables aux intérêts américains dans la presse internationale. Même si ce Bureau a été supprimé après les réactions indignées des médias et de responsables gouvernementaux américains, cette affaire montre que le travail journalistique en temps de guerre n’est pas si simple.
La guerre n'a jamais été propice à la liberté d'expression. Avant même la vérité, c'est la liberté, en effet, qui est la première victime de la guerre : la liberté de rapporter et d'enquêter, la liberté de critiquer et de révéler. La guerre, pourtant, peut aussi apporter davantage de liberté : il règne aujourd'hui une plus grande liberté de la presse à Kaboul que sous les Talibans comme il y en eut davantage à Belgrade après la défaite de Milosevic. Les ondes de choc de l'actualité, en effet, ne vont pas toutes dans le même sens et ne provoquent pas partout les mêmes effets. La guerre peut museler, elle peut aussi libérer 76).
Le raidissement américain est certainement le plus symptomatique des restrictions qui ont affecté la liberté d'expression après les attentats. Le 12 octobre 2001, un mois après les attaques, le New York Times publiait un éditorial qui délimitait clairement les droits et les devoirs de la presse et qui critiquait la requête adressée par la Maison-Blanche aux chaînes de télévision afin qu'elles censurent les messages de Ben Laden.

Tous les Américains comprennent qu'en temps de guerre, certaines informations doivent être protégées…La sécurité des troupes américaines et la confidentialité des méthodes d'espionnage ne doivent pas être compromises par la diffusion inopinée d'informations sensibles et classifiées…Toutefois, de nombreuses autres informations que le gouvernement aimerait museler pour éviter le débat, appartiennent au domaine public. Ce principe est au cœur du système américain de gouvernement. Et il est de l'intérêt de l'Administration de le respecter car une démocratie, pour construire et soutenir un consensus en temps de guerre, a besoin de citoyens informés. 77)

Comme le signalait le philosophe écrivain canadien Michael Ignatieff dans un article du New York Times, les attentats ont placé le mouvement des droits de l’homme sur la défensive, victimes de la priorité désormais accordée à la " sécurité nationale " 78).
Les Etats-Unis qui, au nom du Premier Amendement de la Constitution, avaient fait de la défense de la liberté d'expression l'un des fondements de leur diplomatie et le pilier de leur politique d'assistance aux médias des pays en transition, ont opéré une brusque volte-face. Ce changement d'humeur et de politique s'est illustré dans leur attitude à l'égard de la chaîne qatari Al-Jazirah. Célébrée jusque là comme un modèle de liberté d'expression au sein du monde arabe, elle devenait brusquement la chaîne à museler dès lors que, dans le contexte de la guerre contre le terrorisme, elle ne relayait pas uniquement la parole américaine et ouvrait son antenne à Ben Laden.
Toute critique du gouvernement américain est ainsi non patriotique et sacrilège. Au lendemain du drame, le président Bush annonce son intention de « mener une bataille monumentale du Bien contre le Mal :

Qui est le plus patriotique: le gouvernement qui cache les bavures de ses soldats, les cruautés qu’ils infligent, ou les correspondants qui les révèlent afin qu’elles puissent être rectifiées ?  79)

Pourtant, « Join us, or face destruction. » peut aussi s’appliquer aux medias américains. Soit pour le gouvernement, soit obligatoirement contre, les journalistes ne peuvent lutter contre ce gouvernement tout puissant, et le New York Times lui-même sombre dans des mises en scène ridicules entravant son prestige et son autorité. L’affaire Jessica Lynch en est un exemple des plus frappants.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire