Il semble
qu'il soit impossible aux médias de proposer des discours sur le
terrorisme véritablement indépendants des schémas d'interprétation
dominants, marqués par le pouvoir politique. 74)
La propagande est une autre forme de la
censure. Entravant la longue marche vers la vérité, elle a été au
cœur de tous les conflits. Déjà, après la guerre de Sécession,
le journaliste F. Colburn Adams déclarait de façon prémonitoire :
Le
futur Historien de guerre aura une tâche difficile à accomplir:
filtrer la vérité du mensonge qui apparaît dans les rapports
officiels 75)
Et la guerre contre le terrorisme ne pouvait
donc y échapper. Le 19 février 2002, le New
York Times révélait que le
Pentagone, conseillé par une agence privée de relations publiques,
avait créé après le 11 septembre un Bureau d'Influence Stratégique
ayant pour objectif de placer dans la presse internationale des
informations, vraies ou fausses, favorables aux intérêts américains
dans la presse internationale. Même si ce Bureau a été supprimé
après les réactions indignées des médias et de responsables
gouvernementaux américains, cette affaire montre que le travail
journalistique en temps de guerre n’est pas si simple.
La guerre n'a jamais été propice à la
liberté d'expression. Avant même la vérité, c'est la liberté, en
effet, qui est la première victime de la guerre : la liberté
de rapporter et d'enquêter, la liberté de critiquer et de révéler.
La guerre, pourtant, peut aussi apporter davantage de liberté : il
règne aujourd'hui une plus grande liberté de la presse à Kaboul
que sous les Talibans comme il y en eut davantage à Belgrade après
la défaite de Milosevic. Les ondes de choc de l'actualité, en
effet, ne vont pas toutes dans le même sens et ne provoquent pas
partout les mêmes effets. La guerre peut museler, elle peut aussi
libérer 76).
Le raidissement américain est certainement le
plus symptomatique des restrictions qui ont affecté la liberté
d'expression après les attentats. Le 12 octobre 2001, un mois après
les attaques, le New York Times
publiait un éditorial qui délimitait clairement les droits et les
devoirs de la presse et qui critiquait la requête adressée par la
Maison-Blanche aux chaînes de télévision afin qu'elles censurent
les messages de Ben Laden.
Tous les
Américains comprennent qu'en temps de guerre, certaines informations
doivent être protégées…La sécurité des troupes américaines et
la confidentialité des méthodes d'espionnage ne doivent pas être
compromises par la diffusion inopinée d'informations sensibles et
classifiées…Toutefois, de nombreuses autres informations que le
gouvernement aimerait museler pour éviter le débat, appartiennent
au domaine public. Ce principe est au cœur du système américain de
gouvernement. Et il est de l'intérêt de l'Administration de le
respecter car une démocratie, pour construire et soutenir un
consensus en temps de guerre, a besoin de citoyens informés. 77)
Comme le signalait le philosophe écrivain
canadien Michael Ignatieff dans un article du New
York Times, les attentats ont placé
le mouvement des droits de l’homme sur la défensive, victimes de
la priorité désormais accordée à la " sécurité nationale "
78).
Les Etats-Unis qui, au nom du Premier
Amendement de la Constitution, avaient fait de la défense de la
liberté d'expression l'un des fondements de leur diplomatie et le
pilier de leur politique d'assistance aux médias des pays en
transition, ont opéré une brusque volte-face. Ce changement
d'humeur et de politique s'est illustré dans leur attitude à
l'égard de la chaîne qatari Al-Jazirah. Célébrée jusque
là comme un modèle de liberté d'expression au sein du monde arabe,
elle devenait brusquement la chaîne à museler dès lors que, dans
le contexte de la guerre contre le terrorisme, elle ne relayait pas
uniquement la parole américaine et ouvrait son antenne à Ben Laden.
Toute critique du gouvernement américain est ainsi non patriotique
et sacrilège. Au lendemain du drame, le président Bush annonce son
intention de « mener une bataille monumentale du Bien contre le
Mal :
Qui
est le plus patriotique: le gouvernement qui cache les bavures de ses
soldats, les cruautés qu’ils infligent, ou les correspondants qui
les révèlent afin qu’elles puissent être rectifiées ?
79)
Pourtant, « Join us, or face destruction. » peut aussi
s’appliquer aux medias américains. Soit pour le gouvernement, soit
obligatoirement contre, les journalistes ne peuvent lutter contre ce
gouvernement tout puissant, et le New York Times lui-même
sombre dans des mises en scène ridicules entravant son prestige et
son autorité. L’affaire Jessica Lynch en est un exemple des plus
frappants.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire