Le but du New
York Times est de
couvrir l’actualité de la façon la plus impartiale possible,
“sans peur ou faveur”, et de traiter les lecteurs, les sources,
les annonceurs et autres, justement et honnêtement, et de le faire
ouvertement. Notre but fondamental est de protéger l’impartialité
et la neutralité du Times,
et l’intégrité de ses reportages 21)
Au lendemain d’un tel drame, parler d’objectivité semble de
prime abord absurde. Frappé au sein même de sa ville, le New
York Times et ses journalistes deviennent par là même victimes
au même rang que toute la population américaine.
Trouver l’équilibre
entre liberté de la presse et une certaine complaisance par rapport
à l'horreur n’est pas une mince affaire, surtout lorsque l’on
est directement concerné. On
perçoit dès lors le lien qui s'établit d'emblée entre terrorisme
et médias. Qui mieux que les médias pourrait assurer un
retentissement maximum aux actes commis ? Qui mieux que les
médias pourrait restituer l'émotion des victimes et diffuser un
sentiment d'insécurité et d'angoisse ? Nul ne peut plus
ignorer la violence manifestée à l'autre bout du monde, pour le
meilleur quand il s'agit de porter secours aux victimes d'un tsunami,
pour le pire quand il s'agit de décapiter en direct un otage, pour
l'exemple22).
Le terrorisme moderne est
médiatique car les médias rendent largement compte des
manifestations violentes23).
En effet, elles intéressent un large public et les terroristes ont
parfaitement compris le bénéfice qu'ils pouvaient retirer de cet
état de fait. Le plus dur pour les journalistes est d’éviter de
jouer le jeu des terroristes par une course effrénée à
l'information et aux images sensationnelles. Les
terroristes ont appris à manier les médias et à exploiter les
faiblesses des sociétés occidentales :
« Le terroriste ne veut pas que beaucoup de gens meurent, il
veut que beaucoup de gens sachent24). »,
écrit Raymond Aron.
On ne peut nier que la course à
l'audience, à laquelle se livrent les médias, peut les inciter à
privilégier l'émotion plutôt que l'information, à privilégier le
sensationnel plutôt que la retenue. Il est indéniable que c’est
l’émotion qui a primé au lendemain du 11 Septembre 2001, dans les
journaux du monde entier, et plus particulièrement au NYT.
Il
y avait une vue implacable sur des corps tombant désespérément
hors de la tour, quelques uns d’entre eux en flammes. 25)
Le New York
Times nous émeut et nous
fait peur. Ces images répétitives, qui nous ont déjà été
montrées à la télévision, sont inlassablement retranscrites par
les journaux. Dans son article,
Pierre Nora souligne cette caractéristique de l’événement
moderne : la prédominance de l’émotion au détriment d’une
distanciation rationalisée :
Dans la
mesure en effet où l’événement est devenu intimement lié à son
expression, sa signification intellectuelle, proche d’une première
forme d’élaboration historique, se vide au profit de ses
virtualités émotionnelles26)
.
Que penser lorsque sur la une du
NYT on voit
l’image sanglante d’une femme en état de choc ?
L’information ne devrait-elle pas respecter l’intimité des
victimes ?
En
abolissant les délais, en déroulant l’action incertaine sous nos
yeux, en miniaturisant le vécu, le direct achève d’arracher à
l’événement son caractère historique pour le projeter dans le
vécu des masses. (…) Le propre de l’événement moderne est de
se dérouler sur une scène immédiatement publique, (…) d’être
vu se faisant et ce “voyeurisme” donne à l’actualité à la
fois sa spécificité par rapport à l’histoire et son parfum déjà
historique27).
L’inflation de titres et d’images chocs, la recherche
systématique du sensationnel, de l’insolite ou du scabreux,
l’appel à l’émotion plus qu’à la réflexion, à la dérision
plus qu’à la pédagogie, l’exacerbation du voyeurisme, la
confusion des genres, le mélange d’information et de spectacle,
les approximations, contre-vérités, complaisance à l’égard de
certaines rumeurs, mise en cause de personnalités ou d’anonymes
avant que la Justice n’ait rendu son verdict semblent être devenus
monnaie courante dans les médias du 21eme siècle. 28)
Le New York
Times semble jouer le jeu
du sensationnel en ce 12 Septembre 2001. Ces images dramatiques
utilisées dans un but particulier, (nous émouvoir) nous amènent,
nous lecteurs, à éprouver une certaine envie de vengeance.
Et les journalistes ne se
privent pas de faire part de la leur. « Punir le diable »,
punir le mal absolu devient dès le 12 Septembre un leitmotiv
apprécié du New York Times.
La légitimité d’une telle dramatisation est remise en question.
New York est certes une ville touchée, affaiblie, mais ses
journalistes ne devraient oublier leur première mission :
informer. C’est la guerre anti-terroriste qui commence.
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