jeudi 12 septembre 2013

b) Voyeurisme ou Information, la guerre de l’objectivité est déclarée.

Le but du New York Times est de couvrir l’actualité de la façon la plus impartiale possible, “sans peur ou faveur”, et de traiter les lecteurs, les sources, les annonceurs et autres, justement et honnêtement, et de le faire ouvertement. Notre but fondamental est de protéger l’impartialité et la neutralité du Times, et l’intégrité de ses reportages 21)

Au lendemain d’un tel drame, parler d’objectivité semble de prime abord absurde. Frappé au sein même de sa ville, le New York Times et ses journalistes deviennent par là même victimes au même rang que toute la population américaine.
Trouver l’équilibre entre liberté de la presse et une certaine complaisance par rapport à l'horreur n’est pas une mince affaire, surtout lorsque l’on est directement concerné. On perçoit dès lors le lien qui s'établit d'emblée entre terrorisme et médias. Qui mieux que les médias pourrait assurer un retentissement maximum aux actes commis ? Qui mieux que les médias pourrait restituer l'émotion des victimes et diffuser un sentiment d'insécurité et d'angoisse ? Nul ne peut plus ignorer la violence manifestée à l'autre bout du monde, pour le meilleur quand il s'agit de porter secours aux victimes d'un tsunami, pour le pire quand il s'agit de décapiter en direct un otage, pour l'exemple22).

Le terrorisme moderne est médiatique car les médias rendent largement compte des manifestations violentes23).

En effet, elles intéressent un large public et les terroristes ont parfaitement compris le bénéfice qu'ils pouvaient retirer de cet état de fait. Le plus dur pour les journalistes est d’éviter de jouer le jeu des terroristes par une course effrénée à l'information et aux images sensationnelles. Les terroristes ont appris à manier les médias et à exploiter les faiblesses des sociétés occidentales : « Le terroriste ne veut pas que beaucoup de gens meurent, il veut que beaucoup de gens sachent24). », écrit Raymond Aron.
On ne peut nier que la course à l'audience, à laquelle se livrent les médias, peut les inciter à privilégier l'émotion plutôt que l'information, à privilégier le sensationnel plutôt que la retenue. Il est indéniable que c’est l’émotion qui a primé au lendemain du 11 Septembre 2001, dans les journaux du monde entier, et plus particulièrement au NYT.

Il y avait une vue implacable sur des corps tombant désespérément hors de la tour, quelques uns d’entre eux en flammes. 25)

Le New York Times nous émeut et nous fait peur. Ces images répétitives, qui nous ont déjà été montrées à la télévision, sont inlassablement retranscrites par les journaux. Dans son article, Pierre Nora souligne cette caractéristique de l’événement moderne : la prédominance de l’émotion au détriment d’une distanciation rationalisée :

Dans la mesure en effet où l’événement est devenu intimement lié à son expression, sa signification intellectuelle, proche d’une première forme d’élaboration historique, se vide au profit de ses virtualités émotionnelles26) .
Que penser lorsque sur la une du NYT on voit l’image sanglante d’une femme en état de choc ? L’information ne devrait-elle pas respecter l’intimité des victimes ?

En abolissant les délais, en déroulant l’action incertaine sous nos yeux, en miniaturisant le vécu, le direct achève d’arracher à l’événement son caractère historique pour le projeter dans le vécu des masses. (…) Le propre de l’événement moderne est de se dérouler sur une scène immédiatement publique, (…) d’être vu se faisant et ce “voyeurisme” donne à l’actualité à la fois sa spécificité par rapport à l’histoire et son parfum déjà historique27).

L’inflation de titres et d’images chocs, la recherche systématique du sensationnel, de l’insolite ou du scabreux, l’appel à l’émotion plus qu’à la réflexion, à la dérision plus qu’à la pédagogie, l’exacerbation du voyeurisme, la confusion des genres, le mélange d’information et de spectacle, les approximations, contre-vérités, complaisance à l’égard de certaines rumeurs, mise en cause de personnalités ou d’anonymes avant que la Justice n’ait rendu son verdict semblent être devenus monnaie courante dans les médias du 21eme siècle. 28)
Le New York Times semble jouer le jeu du sensationnel en ce 12 Septembre 2001. Ces images dramatiques utilisées dans un but particulier, (nous émouvoir) nous amènent, nous lecteurs, à éprouver une certaine envie de vengeance.

Et les journalistes ne se privent pas de faire part de la leur. « Punir le diable », punir le mal absolu devient dès le 12 Septembre un leitmotiv apprécié du New York Times. La légitimité d’une telle dramatisation est remise en question. New York est certes une ville touchée, affaiblie, mais ses journalistes ne devraient oublier leur première mission : informer. C’est la guerre anti-terroriste qui commence. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire