Le 11 septembre, et la lutte anti-terrorisme qui a suivi, auront sans
conteste révélé un potentiel de communication publique jamais
égalé, avec les effets d’entraînement et d’amplification des
choix éditoriaux des médias américains sur ceux du monde entier.
Si, dans leur ensemble, et le New York Times en tête, ceux-ci
ont accepté de se laisser « embarquer » sans trop résister à
l’argumentation justificatrice martelée par le Président des
Etats-Unis, ils ont progressivement retrouvé leur esprit critique
après la fin « officielle » de cette guerre.
Cela, pour une cause majeure: l’effondrement progressif du
leitmotiv argumentatif des « armes de destruction massive »,
et le cadre des manipulations à la source du processus de
l’information. Les révélations progressives se sont avérées
relever du leurre et du mensonge. Pourtant, face aux doutes et
incertitudes, leur utilité première aura été de faire accepter
l’intervention militaire non seulement auprès des populations des
Etats-Unis, mais du monde entier, par le biais de l’Organisation
des Nations Unies, puis sans son intermédiaire.
Pour les observateurs des pratiques médiatiques et journalistiques,
la couverture du sujet de la « guerre annoncée », puis de la «
guerre effective », par les médias américains dominants, a mis en
cause un modèle de journalisme et non des moindres. Il s’agit bien
de celui à partir duquel, du côté européen de l’Atlantique, se
sont construits les critères de la presse moderne et du «
journalisme professionnel » dès le XIXe siècle.
Et pour cause, il s’agissait de prendre acte de la manière dont
les Etats- Unis, pays démocratique de référence, ont mis en oeuvre
la liberté de la presse depuis la proclamation de sa Constitution en
1787 et son premier amendement de 1791 stipulant que « le Congrès
ne fera pas de loi [...] restreignant la liberté de parole ou de
presse ». 185)
Nous savons très bien que, ni d’un côté ou de l’autre de
l’océan, la presse des pays démocratiques a été parfaite en
toute circonstance et qu’elle a aussi failli à sa mission dans
bien des cas, y compris dans la période moderne précédent la
présente « crise » autour de « la guerre en Iraq ».
Souvenons nous, exemples parmi beaucoup d’autres, du « faux
charnier de Timisoara » de décembre 1989, le mensonge de l’Etat
français à propos de l’attentat destructeur du navire de
Greenpeace, le Rainbow Warrior en 1985, la publication en 1983
des « faux carnets d’Hitler » par le Stern de Hambourg et
repris mondialement par des news magazines, ou, encore plus
loin de nous, le fameux « faux bordereau » qui a conduit à
la condamnation du capitaine Alfred Dreyfus en 1894 et à l’affaire
politique et judiciaire qui a suivi pendant dix ans avec un
déferlement de haine jamais égalé depuis dans la presse
française.
Les Etats-Unis n’ont pas été en reste non plus. Ne serait-ce
qu’avec l’attaque du cuirassé américain le Maine, coulé
par une mine dans la rade de La Havane en 1898, à l’origine de la
guerre contre l’Espagne 186) le prétexte avait obtenu
le soutien de Joseph Pulitzer et de William Randolph Hearst, patrons
respectifs du New York World et du New York Journal, titres
populaires en guerre ouverte, ou encore avec la « fausse attaque »
par des torpilles nord-vietnamiennes de deux destroyers
américains dans la baie du Tonkin en 1964, argument utilisé
par le président Lyndon B. Johnson pour déployer les
renforts terrestres au Vietnam, etc… 187)
Les cas de« faux », qui trouvent particulièrement leur place dans
les situations de crises ou de conflits internationaux majeurs, n’ont
guère joué leur fonction de mémoire et de prévention face aux «
vérités toutes faites ». Le Washington Post, il
semblerait, a oublié tout ce qu’il doit en notoriété en matière
de professionnalisme à l’« affaire du Watergate » et aux
dénégations du président Richard Nixon, de son entourage et du
Parti républicain, face à l’enquête menée par deux de ses
journalistes sur les écoutes téléphoniques clandestines pratiquées
au siège du Parti démocrate. La démission de Nixon (puis le pardon
de son successeur Gerald Ford lui évitant toute poursuite
judiciaire) fait partie de la culture moderne du journalisme et du
culte du « journalisme d’investigation» qui s’est ensuivi aux
Etats-Unis, en France et en Europe occidentale.
La référence historique à l’attaque japonaise de Pearl Harbor du
7 décembre 1941 eut aussi pour fonction de « faire l’union
sacrée » dans l’opinion publique américaine, tout comme
l’hystérie « anticommuniste » de l’après Seconde Guerre
mondiale, dans laquelle la presse est tombée, dans un premier temps,
en suivant le combat du sénateur républicain Joseph McCarthy
jusqu’à son désaveu par le Sénat en 1954.
L’adoption, le 25 octobre 2001, de l’USA Patriot Act par
le Sénat et la Chambre des représentants, avec sa définition des
plus vagues du mot « terroriste », a conduit à des excès déjà
dénoncés en d’autres temps. On ne mesure pas encore les effets
durables de cette évolution « post-guerre en Iraq » dans les
opinions publiques, elles-mêmes sollicitées quasi en permanence par
les médias audiovisuels.
« Choisis la vérité et non pas un camp! » Elle illustre à
la fois le principe journalistique de l’« équilibre des points de
vue » et la revendication de distanciation par rapport à une
optique partisane, voire « patriotique ». La logique de
l’information peut dépasser le cadre national au bénéfice d’un
regard universel allant au-delà du terrain de la confrontation entre
protagonistes. Paul Wolfowitz a reconnu la construction rhétorique
de la menace des ADM pour justifier la « guerre préventive» des
Etats-Unis en Iraq. Le motif relevait de « raisons
bureaucratiques» :
Nous nous sommes entendus sur
les armes de destruction massive parce
que c’était le seul
argument sur lequel tout le monde pouvait être d’accord [...]
Il y a néanmoins une
autre raison, qui est presque passée inaperçue tout en
étant d’importance :
éliminer Saddam Hussein permettra aux Etats-Unis de
retirer ses troupes
d’Arabie saoudite où leur présence a été l’un des principaux
griefs d’Al Qaïda
188)
Pourquoi les médias américains ont-ils suivi un processus
communicationnel valorisant plutôt une vérité officielle que celle
de l’enquête et de la recherche journalistique?
La censure n’existe pas aux
Etats-Unis. Mais nous sommes dans un système où les grands groupes
de médias ont de puissantes raisons de présenter les nouvelles de
la façon qui plaira au pouvoir, et aucune raison de ne pas le faire
189).
Pour Paul Krugman, chroniqueur incisif du New York Times, les
mensonges américains dans cette « affaire iraquienne » sont:
Le pire
scandale de l’histoire
politique des Etats-Unis, pire que le Watergate, pire que
l’Irangate
190).
Pourtant, comme nous avons pu le voir à travers cette analyse, le
journal le plus influent du monde n’est pas étranger à ce
scandale sans précédent. Du 12 Septembre à 2005, nombreux sont les
désordres médiatiques auxquels le New York Times a participé
de près ou de loin : censurer la vérité au profit d’une
vérité plus consensuelle, mettre en scène une information à
défaut de la critiquer, préférer la subjectivité d’une personne
à l’objectivité d’un reportage agressif, voilà les nombreux
« méfaits » des journalistes et de la rédaction du
Times, faisant de la guerre en Irak la plus grande opération
propagandiste que l’Histoire des Etats-Unis ait connue.
La peur du discrédit est peut-être ce qui conduit le journal
américain à reprendre les principes professionnels qui l’a
caractérisé aux yeux des médias des pays démocratiques du monde
entier. Le fait d’avoir été abusé par des manipulations de
l’information ou des actions de propagande ne peut que les
réinsérer dans leur fonction modélisante.
Certes, s’il n’y a pas de « mal américain » applicable à tout
un peuple, il y a une croyance spécifique inscrite dans sa culture,
un principe moral dominant, celui du « bien » et de son corollaire,
la « confiance », bref, une « illusion de la bonne conscience ».
Et celle-ci se renforce dans une perspective d’évolution
modélisée, désignée par l’expression de l’« efficacité
américaine» et accentuée par les cultes de la rationalité et de
la vérité. Ce « mal américain » se fonde dans une foi trop
simpliste en la bonté de l’homme, qui nuit à toute perception de
la complexité des êtres et des choses et des problèmes du monde.
Ce qui a encouragé le New York Times à être plus agressif,
c’est d’abord le sursaut provoqué par le scandale de la torture
dans la prison d'Abou Ghraib et la détérioration de la situation en
Irak. La profusion, ensuite, de moyens d'expression autres que les
médias traditionnels. Outre le boom des films documentaires, le
succès sans précédent récent des livres politiques, à commencer
par celui du rapport officiel de la commission sur le 11 septembre,
traduit une soif du public pour une autre information ;
à la mi-octobre, huit des quinze essais figurant sur la liste des
best-sellers du New York Times portaient sur les événements
de l'après 11 septembre, un neuvième étant l'autobiographie de
Bill Clinton.
Ce fut sûrement par la suite la spirale dans laquelle le journal
s’est trouvé, une spirale à scandale, à bidonnages, et à faux
journalisme qui a « réveillé » une conscience
professionnelle qui avait jusque là disparue.
Ce qui ressort de l’échec du New York Times, est
l’incapacité à être objectif. Comment être objectif en temps de
guerre? Le fait pour le fait n’ayant pas d’intérêt sans la
moindre analyse, la subjectivité du journaliste est plus que
nécessaire. Le plus dur est de ne pas tomber dans une propagande
calculée par un gouvernement assoiffé par l’extension de son
empire et de ses valeurs.
From the very inception of the Gulf crisis,
the dominant US media failed to fulfil the role of independent
journalism. Instead, it acted as public relations for the state
department, assimilating le language, terminology, and the
assumptions of the administration, thereby undermining any critical
perspectives upon the conduct of the war. (The média’s war,
ella shohat, 1991, p135 Duke university press.
D’une
guerre à l’autre, les medias Américains n’ont pas réellement
tiré de leçons de leurs précédents échecs, et ce qui s’était
produit pour la guerre du Golfe, semble être applicable à la
nouvelle crise du 21ème siècle.
Le
New York Times a commis des erreurs contraires au journalisme
que l’on appelle traditionnel, c’est à dire réfléchi et
critique, mais sa remise en question, quelle soit insuffisante ou
pas, est cependant un signe encourageant que le journalisme peut
surmonter ses failles et se réinventer sans cesse.
Et puis, comment ne pas parler de la déferlante Internet et des
quelques 200 sites spécialisés dans le journalisme
qui servent d'autant de forums de discussion. L’un de ses sites
Slate présidé par jack Shafer, a servi de modérateur dans
la dérive du Times, rappelant à son « grand frère »
ses dérives et ses dérapages fréquents, sans aucune complaisance
pour le gouvernement dirigeant.
Cette nouvelle race de "journalistes
en pyjama", les bloggers, plus commentateurs qu'informateurs, a
eu sa consécration en gagnant cet été son espace réservé dans
les tribunes de presse aux conventions démocrate et républicaine.
Forme ultime de la démocratisation de l'information
sur Internet, qui permet à quiconque de s'improviser rédacteur en
chef en créant son site depuis son canapé-lit, les blogs ont un
effet d'appel d'air et de poil à gratter.
La "blogosphère" n'échappe pas à la polarisation
politique : le quasi-lynchage de Dan Rather, figure historique
de CBS News, contraint de s'excuser en septembre lorsque des bloggers
de droite ont révélé qu'il avait (involontairement) utilisé un
faux document à propos du service militaire de George W. Bush,
illustre à la fois une nouvelle dynamique médiatique et la soif de
revanche des conservateurs sur les médias traditionnels, considérés
comme acquis aux démocrates.
Puis la révélation de la bosse de George Bush lors de la dernière
campagne présidentielle, ayant plutôt fait le tour des blogs que le
tour des journaux dits plus « sérieux » mais pourtant
moins scrupuleux dans leur enquête à ce sujet.
Cependant, rares sont les bloggers qui partent risquer leur vie à
Bagdad. Le reportage
et l'information
restent l'apanage du quatrième pouvoir, sous l'étroite et double
surveillance du pouvoir exécutif et d'un cinquième pouvoir
émergent.
«
Je préférerais
mourir plutôt que proférer une inexactitude ».
(George
Washington.)
Conclusion
Le 11 septembre, et la lutte anti-terrorisme qui a suivi, auront sans
conteste révélé un potentiel de communication publique jamais
égalé, avec les effets d’entraînement et d’amplification des
choix éditoriaux des médias américains sur ceux du monde entier.
Si, dans leur ensemble, et le New York Times en tête, ceux-ci
ont accepté de se laisser « embarquer » sans trop résister à
l’argumentation justificatrice martelée par le Président des
Etats-Unis, ils ont progressivement retrouvé leur esprit critique
après la fin « officielle » de cette guerre.
Cela, pour une cause majeure: l’effondrement progressif du
leitmotiv argumentatif des « armes de destruction massive »,
et le cadre des manipulations à la source du processus de
l’information. Les révélations progressives se sont avérées
relever du leurre et du mensonge. Pourtant, face aux doutes et
incertitudes, leur utilité première aura été de faire accepter
l’intervention militaire non seulement auprès des populations des
Etats-Unis, mais du monde entier, par le biais de l’Organisation
des Nations Unies, puis sans son intermédiaire.
Pour les observateurs des pratiques médiatiques et journalistiques,
la couverture du sujet de la « guerre annoncée », puis de la «
guerre effective », par les médias américains dominants, a mis en
cause un modèle de journalisme et non des moindres. Il s’agit bien
de celui à partir duquel, du côté européen de l’Atlantique, se
sont construits les critères de la presse moderne et du «
journalisme professionnel » dès le XIXe siècle.
Et pour cause, il s’agissait de prendre acte de la manière dont
les Etats- Unis, pays démocratique de référence, ont mis en oeuvre
la liberté de la presse depuis la proclamation de sa Constitution en
1787 et son premier amendement de 1791 stipulant que « le Congrès
ne fera pas de loi [...] restreignant la liberté de parole ou de
presse ». 185)
Nous savons très bien que, ni d’un côté ou de l’autre de
l’océan, la presse des pays démocratiques a été parfaite en
toute circonstance et qu’elle a aussi failli à sa mission dans
bien des cas, y compris dans la période moderne précédent la
présente « crise » autour de « la guerre en Iraq ».
Souvenons nous, exemples parmi beaucoup d’autres, du « faux
charnier de Timisoara » de décembre 1989, le mensonge de l’Etat
français à propos de l’attentat destructeur du navire de
Greenpeace, le Rainbow Warrior en 1985, la publication en 1983
des « faux carnets d’Hitler » par le Stern de Hambourg et
repris mondialement par des news magazines, ou, encore plus
loin de nous, le fameux « faux bordereau » qui a conduit à
la condamnation du capitaine Alfred Dreyfus en 1894 et à l’affaire
politique et judiciaire qui a suivi pendant dix ans avec un
déferlement de haine jamais égalé depuis dans la presse
française.
Les Etats-Unis n’ont pas été en reste non plus. Ne serait-ce
qu’avec l’attaque du cuirassé américain le Maine, coulé
par une mine dans la rade de La Havane en 1898, à l’origine de la
guerre contre l’Espagne 186) le prétexte avait obtenu
le soutien de Joseph Pulitzer et de William Randolph Hearst, patrons
respectifs du New York World et du New York Journal, titres
populaires en guerre ouverte, ou encore avec la « fausse attaque »
par des torpilles nord-vietnamiennes de deux destroyers
américains dans la baie du Tonkin en 1964, argument utilisé
par le président Lyndon B. Johnson pour déployer les
renforts terrestres au Vietnam, etc… 187)
Les cas de« faux », qui trouvent particulièrement leur place dans
les situations de crises ou de conflits internationaux majeurs, n’ont
guère joué leur fonction de mémoire et de prévention face aux «
vérités toutes faites ». Le Washington Post, il
semblerait, a oublié tout ce qu’il doit en notoriété en matière
de professionnalisme à l’« affaire du Watergate » et aux
dénégations du président Richard Nixon, de son entourage et du
Parti républicain, face à l’enquête menée par deux de ses
journalistes sur les écoutes téléphoniques clandestines pratiquées
au siège du Parti démocrate. La démission de Nixon (puis le pardon
de son successeur Gerald Ford lui évitant toute poursuite
judiciaire) fait partie de la culture moderne du journalisme et du
culte du « journalisme d’investigation» qui s’est ensuivi aux
Etats-Unis, en France et en Europe occidentale.
La référence historique à l’attaque japonaise de Pearl Harbor du
7 décembre 1941 eut aussi pour fonction de « faire l’union
sacrée » dans l’opinion publique américaine, tout comme
l’hystérie « anticommuniste » de l’après Seconde Guerre
mondiale, dans laquelle la presse est tombée, dans un premier temps,
en suivant le combat du sénateur républicain Joseph McCarthy
jusqu’à son désaveu par le Sénat en 1954.
L’adoption, le 25 octobre 2001, de l’USA Patriot Act par
le Sénat et la Chambre des représentants, avec sa définition des
plus vagues du mot « terroriste », a conduit à des excès déjà
dénoncés en d’autres temps. On ne mesure pas encore les effets
durables de cette évolution « post-guerre en Iraq » dans les
opinions publiques, elles-mêmes sollicitées quasi en permanence par
les médias audiovisuels.
« Choisis la vérité et non pas un camp! » Elle illustre à
la fois le principe journalistique de l’« équilibre des points de
vue » et la revendication de distanciation par rapport à une
optique partisane, voire « patriotique ». La logique de
l’information peut dépasser le cadre national au bénéfice d’un
regard universel allant au-delà du terrain de la confrontation entre
protagonistes. Paul Wolfowitz a reconnu la construction rhétorique
de la menace des ADM pour justifier la « guerre préventive» des
Etats-Unis en Iraq. Le motif relevait de « raisons
bureaucratiques» :
Nous nous sommes entendus sur
les armes de destruction massive parce
que c’était le seul
argument sur lequel tout le monde pouvait être d’accord [...]
Il y a néanmoins une
autre raison, qui est presque passée inaperçue tout en
étant d’importance :
éliminer Saddam Hussein permettra aux Etats-Unis de
retirer ses troupes
d’Arabie saoudite où leur présence a été l’un des principaux
griefs d’Al Qaïda
188)
Pourquoi les médias américains ont-ils suivi un processus
communicationnel valorisant plutôt une vérité officielle que celle
de l’enquête et de la recherche journalistique?
La censure n’existe pas aux
Etats-Unis. Mais nous sommes dans un système où les grands groupes
de médias ont de puissantes raisons de présenter les nouvelles de
la façon qui plaira au pouvoir, et aucune raison de ne pas le faire
189).
Pour Paul Krugman, chroniqueur incisif du New York Times, les
mensonges américains dans cette « affaire iraquienne » sont:
Le pire
scandale de l’histoire
politique des Etats-Unis, pire que le Watergate, pire que
l’Irangate
190).
Pourtant, comme nous avons pu le voir à travers cette analyse, le
journal le plus influent du monde n’est pas étranger à ce
scandale sans précédent. Du 12 Septembre à 2005, nombreux sont les
désordres médiatiques auxquels le New York Times a participé
de près ou de loin : censurer la vérité au profit d’une
vérité plus consensuelle, mettre en scène une information à
défaut de la critiquer, préférer la subjectivité d’une personne
à l’objectivité d’un reportage agressif, voilà les nombreux
« méfaits » des journalistes et de la rédaction du
Times, faisant de la guerre en Irak la plus grande opération
propagandiste que l’Histoire des Etats-Unis ait connue.
La peur du discrédit est peut-être ce qui conduit le journal
américain à reprendre les principes professionnels qui l’a
caractérisé aux yeux des médias des pays démocratiques du monde
entier. Le fait d’avoir été abusé par des manipulations de
l’information ou des actions de propagande ne peut que les
réinsérer dans leur fonction modélisante.
Certes, s’il n’y a pas de « mal américain » applicable à tout
un peuple, il y a une croyance spécifique inscrite dans sa culture,
un principe moral dominant, celui du « bien » et de son corollaire,
la « confiance », bref, une « illusion de la bonne conscience ».
Et celle-ci se renforce dans une perspective d’évolution
modélisée, désignée par l’expression de l’« efficacité
américaine» et accentuée par les cultes de la rationalité et de
la vérité. Ce « mal américain » se fonde dans une foi trop
simpliste en la bonté de l’homme, qui nuit à toute perception de
la complexité des êtres et des choses et des problèmes du monde.
Ce qui a encouragé le New York Times à être plus agressif,
c’est d’abord le sursaut provoqué par le scandale de la torture
dans la prison d'Abou Ghraib et la détérioration de la situation en
Irak. La profusion, ensuite, de moyens d'expression autres que les
médias traditionnels. Outre le boom des films documentaires, le
succès sans précédent récent des livres politiques, à commencer
par celui du rapport officiel de la commission sur le 11 septembre,
traduit une soif du public pour une autre information ;
à la mi-octobre, huit des quinze essais figurant sur la liste des
best-sellers du New York Times portaient sur les événements
de l'après 11 septembre, un neuvième étant l'autobiographie de
Bill Clinton.
Ce fut sûrement par la suite la spirale dans laquelle le journal
s’est trouvé, une spirale à scandale, à bidonnages, et à faux
journalisme qui a « réveillé » une conscience
professionnelle qui avait jusque là disparue.
Ce qui ressort de l’échec du New York Times, est
l’incapacité à être objectif. Comment être objectif en temps de
guerre? Le fait pour le fait n’ayant pas d’intérêt sans la
moindre analyse, la subjectivité du journaliste est plus que
nécessaire. Le plus dur est de ne pas tomber dans une propagande
calculée par un gouvernement assoiffé par l’extension de son
empire et de ses valeurs.
From the very inception of the Gulf crisis,
the dominant US media failed to fulfil the role of independent
journalism. Instead, it acted as public relations for the state
department, assimilating le language, terminology, and the
assumptions of the administration, thereby undermining any critical
perspectives upon the conduct of the war. (The média’s war,
ella shohat, 1991, p135 Duke university press.
D’une
guerre à l’autre, les medias Américains n’ont pas réellement
tiré de leçons de leurs précédents échecs, et ce qui s’était
produit pour la guerre du Golfe, semble être applicable à la
nouvelle crise du 21ème siècle.
Le
New York Times a commis des erreurs contraires au journalisme
que l’on appelle traditionnel, c’est à dire réfléchi et
critique, mais sa remise en question, quelle soit insuffisante ou
pas, est cependant un signe encourageant que le journalisme peut
surmonter ses failles et se réinventer sans cesse.
Et puis, comment ne pas parler de la déferlante Internet et des
quelques 200 sites spécialisés dans le journalisme
qui servent d'autant de forums de discussion. L’un de ses sites
Slate présidé par jack Shafer, a servi de modérateur dans
la dérive du Times, rappelant à son « grand frère »
ses dérives et ses dérapages fréquents, sans aucune complaisance
pour le gouvernement dirigeant.
Cette nouvelle race de "journalistes
en pyjama", les bloggers, plus commentateurs qu'informateurs, a
eu sa consécration en gagnant cet été son espace réservé dans
les tribunes de presse aux conventions démocrate et républicaine.
Forme ultime de la démocratisation de l'information
sur Internet, qui permet à quiconque de s'improviser rédacteur en
chef en créant son site depuis son canapé-lit, les blogs ont un
effet d'appel d'air et de poil à gratter.
La "blogosphère" n'échappe pas à la polarisation
politique : le quasi-lynchage de Dan Rather, figure historique
de CBS News, contraint de s'excuser en septembre lorsque des bloggers
de droite ont révélé qu'il avait (involontairement) utilisé un
faux document à propos du service militaire de George W. Bush,
illustre à la fois une nouvelle dynamique médiatique et la soif de
revanche des conservateurs sur les médias traditionnels, considérés
comme acquis aux démocrates.
Puis la révélation de la bosse de George Bush lors de la dernière
campagne présidentielle, ayant plutôt fait le tour des blogs que le
tour des journaux dits plus « sérieux » mais pourtant
moins scrupuleux dans leur enquête à ce sujet.
Cependant, rares sont les bloggers qui partent risquer leur vie à
Bagdad. Le reportage
et l'information
restent l'apanage du quatrième pouvoir, sous l'étroite et double
surveillance du pouvoir exécutif et d'un cinquième pouvoir
émergent.
«
Je préférerais
mourir plutôt que proférer une inexactitude ».
(George
Washington.)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire