jeudi 12 septembre 2013

c) Le scandale continue: l’affaire Plame-Wilson

Novembre 2005 voit la démission de Judith Miller, journaliste vedette et controversée du renommé New York Times. Travaillant au sein du journal depuis 1977, la journaliste décide de « prendre sa retraite » suite à une nouvelle affaire défrayant la chronique.
En février 2002, l'ancien ambassadeur, Joseph Wilson est envoyé A la demande de la CIA, au Niger pour enquêter sur un éventuel trafic de matériau nucléaire avec l'Irak. Il s'agissait une nouvelle fois de prouver que l'Irak de Saddam Hussein avait bien essayé de se procurer de l'uranium pour construire une arme nucléaire. Après enquête, Joe Wilson n'a rien trouvé confirmant cette allégation. Pire, il a prouvé que les documents sur lesquels se basait l'administration Bush étaient des faux.
Le 6 juillet 2003, c’est dans le New York Times que Joseph Wilson publie des déclarations controversées. « What I Didn’t Find In Africa » est l’exemple d’une liberté d’expression qui semblait perdue dans le « plus grand journal du monde », et est un article qui remet en question les fondements même de la guerre en Irak

Si mes informations ont été ignorées parce qu'elles ne correspondaient pas à des idées préconçues sur l'Irak, alors on peut légitimement faire valoir que nous sommes entrés en guerre sous de faux prétextes. At a minimum, Congress, which authorized the use of military force at the president's behest, should want to know if the assertions about Iraq were warranted. 180)

Wilson critique vivement le gouvernement américain, qui aurait manipulé l’opinion afin d’envahir l’Irak :

Did the Bush administration manipulate intelligence about Saddam Hussein's weapons programs to justify an invasion of Iraq? […] But were these dangers the same ones the administration told us about? We have to find out. America's foreign policy depends on the sanctity of its information. For this reason, questioning the selective use of intelligence to justify the war in Iraq is neither idle sniping nor "revisionist history," as Mr. Bush has suggested. The act of war is the last option of a democracy, taken when there is a grave threat to our national security. More than 200 American soldiers have lost their lives in Iraq already. We have a duty to ensure that their sacrifice came for the right reasons. 181)

Ainsi, la guerre en elle-même est remise en question, c’est un acte grave, qui doit être clairement justifié et basé sur de réelles assomptions, et non sur des hypothèses imaginaires. La guerre en Irak ne serait donc basée que sur de pauvres suspicions, pas assez solides pour entamer une guerre si meurtrière.
Une semaine après cet article explosif posant le Times comme un journal libre d’expression et anti-propagande, plusieurs journalistes divulguent progressivement l'identité de son épouse. Dans l'une de ses chroniques, Robert Novak, chroniqueur pour plusieurs journaux dont le Time, révèle que Joe Wilson, un ancien ambassadeur qui s'est opposé publiquement à la guerre en Irak, a pour épouse une agente secrète de la CIA, Valerie Plame.
Un réel scandale éclate, décrédibilisant les propos de Wilson et « grillant » pour la première fois la couverture de sa femme. Par la suite, Cooper, du Time Magazine, et Miller enquêtent sur l'agente, mais seul Cooper publie quelques lignes sur elle, sans toutefois la nommer.
Après une enquête effectuée par le Département de la Justice des Etats-Unis, le juge fédéral Patrick Fitzgerald exige, sous peine d'emprisonnement, que Cooper et Miller révèlent leurs sources. Ils refusent, invoquant le premier amendement de la Constitution des États-Unis qui assure la liberté de la presse et le secret professionnel. C'était sans compter que révéler l'identité d'un agent de la CIA est un acte criminel aux États-Unis.
Les deux journalistes ont demandé à la Cour suprême des États-Unis de bloquer cette requête, mais celle-ci a rejeté la demande, donnant raison au juge. Des deux journalistes, seul Cooper a suffisamment de matériau pour satisfaire la curiosité de la cour. Pour cette raison, elle impose des sanctions à l'encontre de l'employeur de Cooper, Time Inc., lequel se soumet et remet à la cour les informations demandées. Pourquoi ne pas faire comparaître Robert Novak, qui a pourtant publié l'information clé ? Plusieurs personnes spéculent qu'il collabore avec la justice américaine.
Suite au refus de dévoiler le nom de sa source, Judith Miller est mise sous les verrous le 7 juillet 2005 par le juge Thomas Hogan. Le 29 septembre 2005, la journaliste sort de prison. Sa source l'a, en effet, autorisée à divulger son identité. Il s'agit, révèle alors le New York Times, de Lewis Libby (Scooter), le secrétaire général du vice-président Dick Cheney. Lundi 24 octobre, le New York Times publie un article dans lequel on apprend que Lewis Libby avait appris la véritable identité de Valerie Plame de Dick Cheney.

People who have been briefed on the case said the White House officials, Karl Rove and I. Lewis Libby, were helping prepare what became the administration's primary response to criticism that a flawed phrase about the nuclear materials in Africa had been in Mr. Bush's State of the Union address six months earlier. They had exchanged e-mail correspondence and drafts of a proposed statement by George J. Tenet, then the director of central intelligence, to explain how the disputed wording had gotten into the address. Mr. Rove, the president's political strategist, and Mr. Libby, the chief of staff for Vice President Dick Cheney, coordinated their efforts with Stephen J. Hadley, then the deputy national security adviser, who was in turn consulting with Mr. Tenet. 182)
C’est donc au Times que la vérité est dévoilée. Une vérité qui n’est pas toujours la bienvenue pourtant car ses journalistes ne sont pas épargnés. En effet, en juillet 2003, M. Libby aurait fait "fuiter" des informations à plusieurs journalistes pour tenter de sauver la crédibilité des justifications avancées par l'administration Bush pour renverser Saddam Hussein. Dick Cheney aurait dit à son chef de cabinet que le président l'avait "spécifiquement autorisé à révéler certaines informations". M. Libby aurait alors contacté la journaliste Judith Miller du New York Times pour lui expliquer que Saddam Hussein poursuivait "activement" sa quête d'uranium et de bombe atomique selon un rapport récemment rédigé par la CIA en octobre 2002.
Après avoir longtemps nié, Miller reconnaîtra que Lewis Libby, alors chef de cabinet du vice-président américain Dick Cheney, lui avait parlé à trois reprises de Valerie Plame. Libby l'aurait autorisée à dévoiler son identité et, selon ses détracteurs, la journaliste aurait préféré se taire et aller en prison pour passer pour une martyre de l'information et faire oublier ses erreurs passés sur les ADM. 
Cette nouvelle affaire, dont le premier rôle revient une nouvelle fois à la scandaleuse Judith Miller, ne passe pas inaperçue au sein de la rédaction du Times.
Peu avant sa démission en Novembre 2005, Maureen Dowd lui consacrait un article incisif dans lequel Judith Dowd remet en question le bon jugement de Miller, cette dernière incarnant les errements de la profession.
It also doesn't seem credible that Judy wouldn't remember a Marvel comics name like "Valerie Flame." Nor does it seem credible that she doesn't know how the name got into her notebook and that, as she wrote, she "did not believe the name came from Mr. Libby." 183)

La journaliste souligne le danger d’une information relayée par des personnes telles que Judith Miller. Cette femme « de destruction massive » ne pourrait que mettre en péril la qualité de l’information d’un pays déjà en crise médiatique :

Judy told The Times that she plans to write a book and intends to return to the newsroom, hoping to cover "the same thing I've always covered - threats to our country." If that were to happen, the institution most in danger would be the newspaper in your hands. 184)

Plusieurs journalistes ont vu cet événement comme une attaque contre la Constitution des États-Unis, et anticipent qu'un excès de demandes similaires sera effectué. En d'autres termes, le pacte social établi par cette constitution serait bon à jeter aux orties. Par ailleurs, de moins en moins de journalistes pourront invoquer le secret professionnel pour cacher l'identité de leurs informateurs, ce qui mènera à moins de dénonciations, par exemple. C'est ainsi que suite à la décision du Time de divulguer les notes de son journaliste au procureur, plusieurs journalistes du Time se sont plaints auprès de leur hiérarchie du fait que plusieurs de leurs sources anonymes refusent maintenant de parler.
Une nouvelle fois, là où le New York Times paraissait sur la bonne voie (une journaliste prête à tout pour la liberté de la presse, prête à aller en prison pour ne pas révéler ses sources), là où le journal semblait avoir fait un pas de géant pour une plus grande vérité, le journal est en fait encore une fois impliqué dans une affaire scandaleuse, et ses journalistes sont mis en cause pour leur manque de professionnalisme et leur manque de discernement.
Ce qui découle de cette affaire, plus que la soumission des médias face au tout puissant gouvernement américain, est la façon dont l’administration Bush tente de faire taire ses détracteurs sans aucun regard critique de son quatrième pouvoir.
Le procès de Libby devant démarrer en janvier 2007, risquerait d’étaler au grand jour les habitudes peu conventionnelles dont la Maison-Blanche use pour étouffer la vérité. Certains documents, note le document fédéral, « pourraient être caractérisés comme reflétant un plan de décrédibilisation, punition ou revanche contre M. Wilson».
Le procès ravivera le débat sur la façon dont l’entrée en guerre contre l’Irak a été vendue au Congrès et à l’opinion publique. Plusieurs grandes figures de l’entourage de George Bush devraient être appelées à témoigner au procès : son conseiller Karl Rove, l’ancien porte-parole Ari Fleischer, l’ancien secrétaire d’État Colin Powell et George Tenet, patron de la CIA à l’époque.

Le contexte conflictuel portant sur la nature des informations à communiquer aux médias, mais aussi sur leurs portées stratégiques dans les registres de l’argumentation politique et de l’action elle-même, n’est guère propice à l’émergence d’une vérité fondée sur les critères professionnels du journalisme. A fortiori quand les « sources » en tant que telles sont placées, ou se placent, dans des jeux de pouvoirs et de rapports de force dont les médias sont un des enjeux premiers.

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