Novembre
2005 voit la démission de Judith Miller, journaliste vedette et
controversée du renommé New York Times. Travaillant au sein
du journal depuis 1977, la journaliste décide de « prendre sa
retraite » suite à une nouvelle affaire défrayant la
chronique.
En février 2002, l'ancien ambassadeur,
Joseph
Wilson est envoyé A la
demande de la CIA,
au Niger
pour enquêter sur un éventuel trafic de matériau nucléaire
avec l'Irak.
Il s'agissait une nouvelle fois de prouver que l'Irak de Saddam
Hussein avait bien
essayé de se procurer de l'uranium
pour construire une arme
nucléaire. Après
enquête, Joe Wilson n'a rien trouvé confirmant cette allégation.
Pire, il a prouvé que les documents sur lesquels se basait
l'administration Bush étaient des faux.
Le 6 juillet 2003, c’est dans le New York Times que Joseph
Wilson publie des déclarations controversées. « What I Didn’t
Find In Africa » est l’exemple d’une liberté d’expression
qui semblait perdue dans le « plus grand journal du monde »,
et est un article qui remet en question les fondements même de la
guerre en Irak
Si mes informations ont été
ignorées parce qu'elles ne correspondaient pas à des idées
préconçues sur l'Irak,
alors on peut légitimement faire valoir que nous sommes entrés en
guerre sous de faux prétextes. At
a minimum, Congress, which authorized the use of military force at
the president's behest, should want to know if the assertions about
Iraq were warranted. 180)
Wilson critique vivement le gouvernement américain, qui aurait
manipulé l’opinion afin d’envahir l’Irak :
Did the Bush
administration manipulate intelligence about Saddam Hussein's weapons
programs to justify an invasion of Iraq? […]
But
were these dangers the same ones the administration told us about? We
have to find out. America's foreign policy depends on the sanctity of
its information. For this reason, questioning the selective use of
intelligence to justify the war in Iraq is neither idle sniping nor
"revisionist history," as Mr. Bush has suggested. The act
of war is the last option of a democracy, taken when there is a grave
threat to our national security. More than 200 American soldiers have
lost their lives in Iraq already. We have a duty to ensure that their
sacrifice came for the right reasons. 181)
Ainsi,
la guerre en elle-même est remise en question, c’est un acte
grave, qui doit être clairement justifié et basé sur de réelles
assomptions, et non sur des hypothèses imaginaires. La guerre en
Irak ne serait donc basée que sur de pauvres suspicions, pas assez
solides pour entamer une guerre si meurtrière.
Une semaine après cet article explosif posant le Times comme
un journal libre d’expression et anti-propagande, plusieurs
journalistes divulguent progressivement l'identité de son épouse.
Dans l'une de ses chroniques, Robert Novak, chroniqueur pour
plusieurs journaux dont le Time, révèle que Joe Wilson, un ancien
ambassadeur qui s'est opposé publiquement à la guerre en Irak, a
pour épouse une agente secrète de la CIA,
Valerie Plame.
Un réel scandale éclate, décrédibilisant les propos de Wilson et
« grillant » pour la première fois la couverture de sa
femme. Par la suite, Cooper, du Time Magazine, et Miller
enquêtent sur l'agente, mais seul Cooper publie quelques lignes sur
elle, sans toutefois la nommer.
Après une enquête effectuée par le Département de la Justice des
Etats-Unis, le juge fédéral Patrick
Fitzgerald exige, sous
peine d'emprisonnement, que Cooper et Miller révèlent leurs
sources. Ils refusent, invoquant le premier amendement de la
Constitution
des États-Unis qui
assure la liberté de la presse et le secret professionnel. C'était
sans compter que révéler l'identité d'un agent de la CIA est un
acte criminel aux États-Unis.
Les deux journalistes ont demandé à la Cour
suprême des États-Unis
de bloquer cette requête, mais celle-ci a rejeté la demande,
donnant raison au juge. Des deux journalistes, seul Cooper a
suffisamment de matériau pour satisfaire la curiosité de la cour.
Pour cette raison, elle impose des sanctions à l'encontre de
l'employeur de Cooper, Time
Inc., lequel se
soumet et remet à la cour les informations demandées. Pourquoi ne
pas faire comparaître Robert Novak, qui a pourtant publié
l'information clé ? Plusieurs personnes spéculent qu'il
collabore avec la justice américaine.
Suite au refus de dévoiler le nom de sa source, Judith Miller est
mise sous les verrous le 7 juillet 2005 par le juge Thomas Hogan. Le
29 septembre 2005, la journaliste sort de prison. Sa source l'a, en
effet, autorisée à divulger son identité. Il s'agit, révèle
alors le New York Times, de Lewis
Libby (Scooter),
le secrétaire général du vice-président Dick
Cheney. Lundi 24
octobre, le New
York Times
publie un article dans lequel on apprend que Lewis
Libby avait appris la
véritable identité de Valerie
Plame de Dick
Cheney.
People who
have been briefed on the case said the White House officials, Karl
Rove and I. Lewis Libby, were helping prepare what became the
administration's primary response to criticism that a flawed phrase
about the nuclear materials in Africa had been in Mr. Bush's State of
the Union address six months earlier. They had exchanged e-mail
correspondence and drafts of a proposed statement by George J. Tenet,
then the director of central intelligence, to explain how the
disputed wording had gotten into the address. Mr. Rove, the
president's political strategist, and Mr. Libby, the chief of staff
for Vice President Dick Cheney, coordinated their efforts with
Stephen J. Hadley, then the deputy national security adviser, who was
in turn consulting with Mr. Tenet.
182)
C’est donc au Times que la vérité est dévoilée. Une
vérité qui n’est pas toujours la bienvenue pourtant car ses
journalistes ne sont pas épargnés. En effet, en juillet 2003, M.
Libby aurait fait "fuiter" des informations à plusieurs
journalistes pour tenter de sauver la crédibilité des
justifications avancées par l'administration Bush pour renverser
Saddam Hussein. Dick
Cheney aurait dit à
son chef de cabinet que le président l'avait "spécifiquement
autorisé à révéler certaines informations". M. Libby aurait
alors contacté la journaliste Judith
Miller du New
York Times pour lui
expliquer que Saddam Hussein poursuivait "activement" sa
quête d'uranium et de bombe atomique selon un rapport récemment
rédigé par la CIA en octobre 2002.
Après avoir longtemps nié, Miller reconnaîtra que Lewis Libby,
alors chef de cabinet du vice-président américain Dick Cheney, lui
avait parlé à trois reprises de Valerie Plame. Libby l'aurait
autorisée à dévoiler son identité et, selon ses détracteurs, la
journaliste aurait préféré se taire et aller en prison pour passer
pour une martyre de l'information et faire oublier ses erreurs passés
sur les ADM.
Cette nouvelle affaire, dont le premier rôle revient une nouvelle
fois à la scandaleuse Judith Miller, ne passe pas inaperçue au sein
de la rédaction du Times.
Peu avant sa démission en Novembre 2005, Maureen Dowd lui consacrait
un article incisif dans lequel Judith Dowd remet en question le bon
jugement de Miller, cette dernière incarnant les errements de la
profession.
It also
doesn't seem credible that Judy wouldn't remember a Marvel comics
name like "Valerie Flame." Nor does it seem credible that
she doesn't know how the name got into her notebook and that, as she
wrote, she "did not believe the name came from Mr. Libby."
183)
La journaliste souligne le danger d’une information relayée par
des personnes telles que Judith Miller. Cette femme « de
destruction massive » ne pourrait que mettre en péril la
qualité de l’information d’un pays déjà en crise médiatique :
Judy told The
Times
that she plans to write a book and intends to return to the newsroom,
hoping to cover "the same thing I've always covered - threats to
our country." If that were to happen, the institution most in
danger would be the newspaper in your hands. 184)
Plusieurs journalistes ont vu cet événement comme une attaque
contre la Constitution des États-Unis, et anticipent qu'un excès de
demandes similaires sera effectué. En d'autres termes, le pacte
social établi par cette constitution serait bon à jeter aux orties.
Par ailleurs, de moins en moins de journalistes pourront invoquer le
secret professionnel pour cacher l'identité de leurs informateurs,
ce qui mènera à moins de dénonciations, par exemple. C'est ainsi
que suite à la décision du Time de divulguer les notes de
son journaliste au procureur, plusieurs journalistes du Time se
sont plaints auprès de leur hiérarchie du fait que plusieurs de
leurs sources anonymes refusent maintenant de parler.
Une nouvelle fois, là où le New York Times paraissait sur la
bonne voie (une journaliste prête à tout pour la liberté de la
presse, prête à aller en prison pour ne pas révéler ses sources),
là où le journal semblait avoir fait un pas de géant pour une plus
grande vérité, le journal est en fait encore une fois impliqué
dans une affaire scandaleuse, et ses journalistes sont mis en cause
pour leur manque de professionnalisme et leur manque de discernement.
Ce qui découle de cette affaire, plus que la soumission des médias
face au tout puissant gouvernement américain, est la façon dont
l’administration Bush tente de faire taire ses détracteurs sans
aucun regard critique de son quatrième pouvoir.
Le procès de Libby devant démarrer en janvier 2007, risquerait
d’étaler au grand jour les habitudes peu conventionnelles dont la
Maison-Blanche use pour étouffer la vérité. Certains documents,
note le document fédéral, « pourraient être caractérisés comme
reflétant un plan de décrédibilisation, punition ou revanche
contre M. Wilson».
Le procès ravivera le débat sur la façon dont l’entrée en
guerre contre l’Irak a été vendue au Congrès et à l’opinion
publique. Plusieurs grandes figures de l’entourage de George Bush
devraient être appelées à témoigner au procès : son conseiller
Karl Rove, l’ancien porte-parole Ari Fleischer, l’ancien
secrétaire d’État Colin Powell et George Tenet, patron de la CIA
à l’époque.
Le contexte conflictuel portant sur la nature des informations à
communiquer aux médias, mais aussi sur leurs portées stratégiques
dans les registres de l’argumentation politique et de l’action
elle-même, n’est guère propice à l’émergence d’une vérité
fondée sur les critères professionnels du journalisme. A
fortiori quand les « sources » en tant que telles sont placées,
ou se placent, dans des jeux de pouvoirs et de rapports de force dont
les médias sont un des enjeux premiers.
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