jeudi 12 septembre 2013

I- Autocensure et Propagande / a) Autocensure

L'autocensure reste, dans la plupart des sociétés, qu'elles soient démocratiques ou autoritaires, l'arme la plus efficace des gouvernants. La peur de déplaire, de prendre à rebrousse-poils l'opinion majoritaire du public, a influencé un nombre important de médias américains dans leur couverture de la lutte contre le terrorisme et de la guerre en Afghanistan. L'impératif commercial qui domine le monde des médias accentue encore cette tentation du conformisme.
Cette auto-censure a pris deux formes, la " privatisation de la censure " lorsque la direction d'un média a fixé des limites à la liberté de ses journalistes, " l'intériorisation de la censure " lorsque les journalistes, consciemment ou non, ont restreint eux-mêmes leur libre arbitre et collé le plus possible aux discours officiels ou aux émotions de l'opinion 65).
Un an après le drame du 11 Septembre, rien ne semble avoir changé. Dans un article détonant, Jim Dwyer, journaliste au New York Times, dresse un bilan peu reluisant:

Un an après, le public en sait moins sur les circonstances de 2801 morts au pied de Manhattan en plein jour, que le public de 1912 n’en savait des semaines après le naufrage du Titanic 66)

L’échec de la presse dans la couverture de l’événement est souligné. Le New York Times avoue son incapacité à informer son lectorat sur cette tragédie. Dans un monde de communication et d’information « express », l’information paraît tout aussi archaïque qu’au début du 20eme siècle. Le bilan semble pessimiste, et la raison d’un tel échec paraît multiple.

Le manqué d’information du public à propos du 11 Septembre est aussi du en majeure partie au fait que le Times et le reste de la presse n’ai pas été autorisé à publier des reportages d’investigation, grâce auxquels le manque d’information aurait pu être vaincu. Un an après, la situation est restée virtuellement la même  67).
Le gouvernement américain serait-il le seul coupable de cette « non information » ? Le New York Times n’aurait il pas manqué à son devoir d’objectivité et d’information ?

La presse a été moins agressive en questionnant le président Bush sur le 11 Septembre, qu’elle ne l’a été lors de ses questions sur le président Clinton et sa liaison avec Monica Lewinsky, qui est une affaire triviale en comparaison 68).

En effet, il semble que les journaux et les mass medias aient échoué dans leur quête de vérité et dans leur explication du drame. L’autocensure des médias est admise par une poignée de journalistes eux-même. La vice-présidente de CNN, Rena Golden, déclare en août 2002 que la presse s’est largement censurée sur la guerre en Afghanistan ainsi que sur le 11 septembre :

Quiconque clame que les medias américains ne se sont pas auto censures, se moque de vous. Et ce n’est pas qu’un problème à CNN, tout journaliste impliqué d’une façon ou d’une autre dans le 11 Septembre est en partie responsable.  69).

Le patriotisme prend un sens bien plus négatif selon le porte parole de CBS, Dan Rather:

Il fut un temps en Afrique du Sud où l’on mettait des cercles de feu autour du cou des dissidents. Et d’une certaine façon, la peur est d’être encerclé ici, avec un cercle de feu de manque de patriotisme autour du cou. C’est cette peur qui retient les journalistes de poser les questions les plus dures. 70).

La confession de Rather explique la réticence de la presse à remettre en question la version officielle du gouvernement, et à effectuer un travail de fond pour informer ses lecteurs, les journalistes perçus comme non-patriotique courrant le risque d’être renvoyés. Pourtant si leur désir d’objectivité avait été respecté, il semblerait que le cours de l’Histoire ait pu être modifié :

Si les médias avaient été plus pugnaces dans leur quête de la vérité, il est fort possible que nous ne serions jamais partis en guerre contre l’Irak 71)

Par nationalisme les journalistes du New York Times se sont autocensurés. Un an après le 11 septembre, la population Américaine est toujours dans l’ignorance et en deuil. Rien n’est oublié, mais rien n’a changé, la normalité n’a pas été retrouvée. NR. Kleinfield, lui non plus, n’oublie pas la tragédie.

Rien n’a été oublié. Cela ne le sera jamais. Mais tout continue, recommence. Un an après avoir fait face à sa mortalité, New York, dans ses curiosités et son parfum, est toujours New-York. Pendant longtemps, personne ne sut si cela pouvait arriver.  72).


Le journal semble tourner en rond. En lisant l’édition du 11 septembre 2002, on a l’impression de lire la même chose que l’année précédente, avec seulement une information supplémentaire : l’Amérique est en guerre. « A year of War, anxiety and questions », comme l’on peut lire. Mais aux questions laissées en suspens depuis les attaques, il n’y a pas de réponse. « A year later, very little has changed. », déclare le journaliste Michiko Kakutani 73). Et on le croit. Ce piétinement de l’information, cet ancrage dans une nostalgie de « l’avant », cette glorification de l’héroïsme américain, semblent montés de toute pièce par une force toute puissante, manipulant les médias à son profit. Le gouvernement américain a-t-il été propagandiste ? Le New York Times a-t-il été lui aussi manipulé ?

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