jeudi 12 septembre 2013

II- Les stars du New York Times hors contrôle / a) Jayson Blair: fraude au New York Times


La crise de crédibilité de la presse américaine a été marquée par l’épisode Jayson Blair, jeune journaliste vedette du New York Times, falsificateur de faits, plagiaire d’articles copiés sur Internet et inventeur de dizaines d’histoires.

Le samedi 26 Avril 2003, le New York Times publie un article du journaliste vedette, consacré à Juanita Anguiano et son fils, Edward, qui était à l’époque le seul soldat américain déclaré disparu par les forces militaires américaines. Il y évoque sa souffrance, et sa fierté de mère de soldat.


Juanita Anguianio montre fièrement le ventilateur au plafond, une lampe pour la fête des mères, et tous les autres cadeaux de son seul fils, Edward, 24 ans, mécanicien de l’armée. Mme Anguiano et ses filles disent qu’elles ne savent pas quoi ressentir ou comment ressentir. Elles sautent et ont des noeds dans l’estomac dès que le téléphone sonne, dès que quelqu’un frappe à la porte. Isolées, autant par leur situation unique, que par leur location géographique ici au sud du Texas, les Anguiano décrivent leur situation comme un douloureux purgatoire.  89)

Plusieurs personnes cependant remarquent des similitudes entre cet article et un autre récit écrit par Macarena Hernandez et publié peu avant par le San Antonio Express-News. Macarena Hernandez elle-même, qui avait effectué le même programme que Blair au Times, ainsi que son rédacteur Robert Rivard, et Manuel Roig-Franzia du Washington Post, constatent ces ressemblances troublantes.
Blair appelle Hernandez et lui affirme qu’il n’a pas eu connaissance de son article avant d’écrire le sien, et qu’étant donné que Mme Anguiano avait eu recours à sa fille pour traduire ses propos, cette dernière avait certainement dû donner les même réponses aux deux journalistes. Grave erreur de Jayson Blair, qui sans le savoir, avoue son plagiat. Mme Anguiano n’a jamais utilisé sa fille pour traduire ses propos, car Mme Anguiano parle couramment anglais, et Jayson Blair aurait dû le savoir s’il s’était rendu sur place.

Moins d’une semaine plus tard, Jayson Blair démissionne, laissant derrière lui de nombreuses histoires inventées de toutes pièces et publiées au New York Times. Le journal, considéré comme une référence par les professionnels du monde entier, a vécu à cette occasion un véritable séisme : les deux patrons de la rédaction, Howell Raines, qui avait soutenu Blair contre plusieurs journalistes qui l’avaient averti de ses « bidonnages », et Gerald Boyd, ont été contraints à la démission, et un poste de médiateur a été pour la première fois créé, confié à Daniel Okrent, un essayiste et ancien rédacteur en chef du magazine Time 90).

Dès le lendemain de la démission du fraudeur, le New York Times reconnaît son erreur et la plupart des articles publiés par Blair sont aussitôt modifiés on-line sur le site web du journal, les erreurs du « journaliste » étant clairement soulignées.


Jayson Blair, reporter pour le New York Times, a démissioné hier après que le journal a commencé une révision de son article concernant la famille d’un soldat américain en irak manquant à l’appel et depuis déclaré mort. Le Times regrette cette brèche dans les standards journalistiques et prévoit une excuse à la famille du soldat ainsi qu’une révision des autres travaux de Mr Blair.  91)

Le New York Times publie, toujours le 2 mai, un article autocritique rédigé par Jacques Steinberg. Le journal y présente ses excuses pour l’article plagié consacré aux Anguiano.


We continue to examine the circumstances of Mr. Blair's reporting about the Texas family. In also reviewing other journalistic work he has done for The Times, we will do what is necessary to be sure the record is kept straight." The Times' statement did not specify the questions that it had about Mr. Blair's reporting. But Specialist Anguiano's mother, Juanita, said in a telephone interview yesterday that she did not recall Mr. Blair having visited her home in Los Fresnos, Tex., although his article carried the dateline Los Fresnos and included several references to Ms. Anguiano's furniture, jewelry and gestures. 92)

Ce que le journal ignore encore, c’est que les falsifications concernent en fait des dizaines de ses reportages publiés depuis deux ans selon une enquête publiée 10 jours plus tard par le journal en pleine tourmente médiatique. Cet article dénonce les plagiats de son ex-journaliste:

Une investigation des journalistes du Times a découvert qu’un journaliste de l’équipe du NYT a commis des actes fréquents de fraude journalistique lors de la couverture d’événements importants de ces derniers mois. La diffusion de plagiat représente une trahison profonde de la confiance dans les 152 ans du journal. Et il a utilisé ces techniques pour écrire des mensonges sur des moments pleins d’émotions, de l’attaque mortelle de snipers à Washington, à l’angoisse des familles pleurant leurs proches morts en Irak. Dans leur recherche concentrée sur la correction des reportages et l’explication d’une telle fraude au sein du Times, les journalistes du NYT ont trouvés de nouvelles erreurs dans au moins 36 articles sur les 73 articles écrits par Blair depuis sa promotion au reportage national depuis Octobre dernier.
Dans les derniers mois, l’effronterie des deceptions n’a cessé de croître, suggérant que le travail a été effectué par un jeune homme desorienté se condamnant à sa propre destruction professionnelle. 93)

Jayson Blair ayant falsifié plusieurs articles concernant la guerre en Irak et la lutte anti-terroriste, le journal perd automatiquement sa crédibilité et doit revoir l’authenticité de tous les articles publiés par cet imposteur. En France aussi, Le Monde (éditions du 17-18 mai 2003) rédige un « rectificatif accompagné d’excuses ». Le journal avait en effet publié des articles de Blair dans son supplément hebdomadaire compilant les " meilleurs articles " du New York Times. A peine un an plus tôt, le 22 juin 2002, à propos du New York Times, le Monde analysait l’arrivée de son nouveau " directeur de la rédaction qui bouleverse la tradition " :

Depuis l’arrivée de Howell Raines à sa tête, la rédaction du New York Times est en plein fébrilité, raconte une enquête du New Yorker (...) Raines, 58 ans, a pris ses fonctions le 5 septembre 2001. Jusque-là, il était responsable des pages Opinions et éditoriaux (...) Il revendique "un côté populiste" (...) Il a grandi à Birmingham (Alabama), la ville symbole du combat des Noirs pour l’égalité, et a obtenu le prix Pulitzer (en 1991) pour un article sur Grady, la gouvernante de son enfance (...)(...) Raines a affiché ses intentions : "Accélérer le métabolisme de la rédaction", mettre fin à la culture de la "suffisance" et porter parmi les sept articles de "une" davantage de scoops et d’histoires originales. Il a (...) transféré des correspondants, parachuté des journalistes vedettes sur l’événement du jour au mépris des frontières entre services. 94)



La fin de l’article du Monde est consacrée à glorifier le comportement héroïque du New York Times d’Howell Raines à l’occasion des attentats du 11 septembre 2001 :

Raines consultait ses mails en pyjama dans sa maison de Greenwich Village (...) Mais, aussitôt habillé, il s’est senti tel le général Grant pendant la guerre de Sécession, concentrant toutes ses troupes pour l’assaut (il a fait lui-même la comparaison), déployant 300 journalistes. C. J. Chivers, le rubricard "police", a foncé dans son plus beau costume vers les tours jumelles. Il en est ressorti vingt-quatre heures plus tard, les pieds en sang d’avoir arpenté le site. Vétéran de la guerre du Golfe, il est retourné chez lui enfiler un T-shirt des marines, ce qui lui a permis de passer les barrages de sécurité et de s’installer à "Ground Zero". Il y est resté douze jours. 94)


De part et d’autre de l’Atlantique, les journaux se sont laissés aveugler et ont perdu tout sens critique. Cependant, au New York Times, dès la découverte de ces falsifications, la rédaction a efficacement réagi et admit ses erreurs sans essayer de les minimiser. L’incroyable réactivité du journal face à l’affaire Blair n’a cependant pas pris place pour tous les scandales que le journal a connus dans une période de courte durée. Le manque de recul de la rédaction s’est essentiellement fait sentir lors d’une sorte de « campagne anti-France » menée par le journal. Un journal qui serait anti-français ?

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