jeudi 12 septembre 2013

b)Patriotisme et presse, le pouvoir des mots

Comparer un tel événement avec d’autres dates tout aussi marquantes s’est fait naturellement pour la presse française. De l’assassinat de Kennedy à Pearl Harbor, les grandes dates de l’Histoire du monde sont mobilisées :

Avec le déclenchement de la guerre de 1914, la révolution d’Octobre, le jeudi noir de Wall Street, la prise de pouvoir par Hitler, l’effondrement de la France, l’attaque de Pearl Harbor, la bataille de Stalingrad, le débarquement en Normandie, la bombe sur Hiroshima, l’écroulement du Mur de Berlin et de l’URSS, c’est un des événements majeurs de notre temps. 58)

Plus précisément encore, on associe le 11 Septembre à des dates historiques marquantes amplifiant son importance et consacrant son caractère extraordinaire :


La tragique journée du 11 septembre 2001 tient à la fois de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941 (…), du naufrage du Lusitania en 1915 par le choix de cibles civiles, de l’attentat de Sarajevo, le 28 juin 1914, par sa puissance symbolique. Le simple rappel de ces dates souligne l’importance de l’événement, fruit des noces barbares de la société ouverte avec un fanatisme venu du fond des âges. 59)

La presse américaine n’a pas manqué non plus la comparaison avec d’autre dates phares de leur civilisation. Très vite, le 11 Septembre, par son ampleur et son caractère « surréaliste » et donc peu saisissable, a nécessité toutes sortes rapprochements pour expliciter son côté tragique.

Mon pays comprend-t-il que c’est la troisième guerre mondiale ? Et si cette attaque était le pearl Harbor de la troisième guerre mondiale, cela signifie qu’il ya une longue, longue guerre devant nous  60)
La guerre en Irak devient la troisième guerre mondiale, qui impliquerait donc beaucoup plus de pays que les Etats-Unis seuls contre le terrorisme. Plus que Pearl Harbor, ou que la Seconde Guerre Mondiale, le 11 Septembre a son identité propre, sa propre métaphore, que les journalistes du NYT tels que John Friedman s’empressent d’exprimer.
Selon David Griffin, auteur de  The New Pearl Harbor , la comparaison effectuée par les médias, aurait été faite dans le but de convaincre le gouvernement d’apporter une réponse semblable à celle du gouvernement lors de l’attaque de Pearl Harbor :

Cette comparaison a souvent été effectuée dans le but d’indiquer que la réponse Américaine aux attaques du 11 septembre devait être similaire à la réponse américaine à Pearl Harbor. Juste après le discours du président le 11 Septembre, Henry Kissinger postait un article en ligne disant : « Le gouvernement devrait être chargé d’une réponse systématique qui, on l’espère, stoppera de la même manière que les attaques de Pearl Harbor ont été stoppées, c'est-à-dire, avec la destruction du système responsable de ce drame  61)

Même si ces comparaisons ne semblent pas injustifiées, elles sont toutefois indéniablement la source d’un resserrement patriotique du people américain, et ont conduit le gouvernement à adopter une politique stricte et restrictive.

Les informations de CBS ont rapporté que le president lui-même, avant de se coucher le soir du 11 Septembre, a écrit dans son journal: “Le Pearl Harbor du 21eme siècle s’est produit aujourd’hui”  62)

Le président Bush lui même effectue le comparaison récurrente du 11 Septembre avec Pearl Harbor et définit ainsi sa politique de réponse à ces attaques, en faisant entrer les Etats Unis en guerre, non pas dans le deuxième guerre mondiale comme suite à Pearl Harbor, mais dans une lutte sans merci contre le terrorisme.
Par ces rapprochements incessants, la peur de la population américaine se fait sentir. Une Troisième Guerre Mondiale, Pearl Harbor, pourquoi pas la fin de l’Amérique ? La population a besoin de riposter. Dans des statistiques effectuées par le Washington Post, rude concurrent du New York Times, la peur américaine semble à son paroxysme en ce Jeudi 20 Septembre 2001.

Bush Addresses Nation; War on Terrorism 63)
The latest Washington Post-ABC News poll is based on telephone interviews with 526 randomly selected adults nationwide and was conducted Thursday evening, Sept. 20, following President Bush's televised address to the nation. The margin of sampling error for overall results is plus or minus 5 percentage points. Sampling error is only one of many potential sources of error in this or any other public opinion poll. Results of overnight polls that attempt to measure opinions about fast-changing news events should be interpreted with extra caution. Interviewing was conducted by TNS Intersearch of Horsham, Pa.
*= less than 0.5 percent
1. Do you approve or disapprove of the way George W. Bush is handling the U.S. response to last week's terrorist attacks?
Approve Disapprove No opin.
9/20/01 91 5 4
9/13/01* 91 7 2
*9/13/01 "this week's"

Il semble clair que la population américaine soutient l’action menée en Irak. Aucune remise en question, aucune nuance, les Américains doivent trouver leur coupable et le punir, sans distinction aucune.
Ces comparaisons répétitives sont toutefois remises en questions au sein même du prestigieux journal grâce à Susan Sontag, essayiste états-unienne et chroniqueuse de renommée du New York Times, qui questionne l’éternelle comparaison de la lutte anti-terroriste à une guerre.
Des guerres contre des ennemis tells que le cancer, la pauvreté, la drogue, sont connues pour être sans fin. Il y aura toujours le cancer, la pauvreté et la drogue. Tout comme il y aura toujours des terroristes méprisables, des meurtriers comme ceux qui ont perpétrés ces attaques il y aura un an jour pour jour demain, tout comme il y aura toujours des défenseurs de la liberté (comme les résistants français, et le congrès national africain), eux aussi appelés terroristes par ceux qu’ils opposaient, mais ré étiquetés par l’histoire. Lorsqu’un président déclare la guette au cancer, à la pauvreté, ou à la drogue, nous savons que cette « guerre » est une métaphore. Cette guerre, la guerre que l’Amérique a déclaré contre le terrorisme, est-elle une métaphore ? 64)

Susan Sontag, dont l’engagement politique contre la guerre du Vietnam, puis contre la guerre en Irak fut de notoriété publique 65), dénonce de fait ces métaphores qui n’en sont pas puisqu’elles se réfèrent à des faits bien réels, tels que la souffrance du peuple Irakien, ou encore des soldats américains.
Soldats américains qu’elle ne soutiendra pas lors du scandale d’Abu Grahïb, et de ses photos honteuses publiées.

Le New York Times va devoir faire face à ses propres démons, ses propres égarements, qu’il mettra un certain temps pour comprendre et finalement admettre. C’est un journal dans la tourmente, un journal déboussolé, le New York Times est le reflet d’une Amérique perdue dans une guerre sans fin.

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