Comparer un tel événement avec d’autres
dates tout aussi marquantes s’est fait naturellement pour la presse
française. De l’assassinat de Kennedy à Pearl Harbor, les grandes
dates de l’Histoire du monde sont mobilisées :
Avec le
déclenchement de la guerre de 1914, la révolution d’Octobre, le
jeudi noir de Wall Street, la prise de pouvoir par Hitler,
l’effondrement de la France, l’attaque de Pearl Harbor, la
bataille de Stalingrad, le débarquement en Normandie, la bombe sur
Hiroshima, l’écroulement du Mur de Berlin et de l’URSS, c’est
un des événements majeurs de notre temps.
58)
Plus précisément encore, on associe le 11
Septembre à des dates historiques marquantes amplifiant son
importance et consacrant son caractère extraordinaire :
La
tragique journée du 11 septembre 2001 tient à la fois de Pearl
Harbor, le 7 décembre 1941 (…), du naufrage du Lusitania en 1915
par le choix de cibles civiles, de l’attentat de Sarajevo, le 28
juin 1914, par sa puissance symbolique. Le simple rappel de ces dates
souligne l’importance de l’événement, fruit des noces barbares
de la société ouverte avec un fanatisme venu du fond des âges.
59)
La presse américaine n’a pas manqué non plus la comparaison avec
d’autre dates phares de leur civilisation. Très vite, le 11
Septembre, par son ampleur et son caractère « surréaliste »
et donc peu saisissable, a nécessité toutes sortes rapprochements
pour expliciter son côté tragique.
Mon pays comprend-t-il que c’est
la troisième guerre mondiale ? Et si cette attaque était le
pearl Harbor de la troisième guerre mondiale, cela signifie qu’il
ya une longue, longue guerre devant nous
60)
La guerre en Irak devient la troisième guerre
mondiale, qui impliquerait donc beaucoup plus de pays que les
Etats-Unis seuls contre le terrorisme. Plus que Pearl Harbor, ou que
la Seconde Guerre Mondiale, le 11 Septembre a son identité propre,
sa propre métaphore, que les journalistes du NYT tels que
John Friedman s’empressent d’exprimer.
Selon David Griffin, auteur de The New
Pearl Harbor , la comparaison effectuée par les médias,
aurait été faite dans le but de convaincre le gouvernement
d’apporter une réponse semblable à celle du gouvernement lors de
l’attaque de Pearl Harbor :
Cette
comparaison a souvent été effectuée dans le but d’indiquer que
la réponse Américaine aux attaques du 11 septembre devait être
similaire à la réponse américaine à Pearl Harbor. Juste après le
discours du président le 11 Septembre, Henry Kissinger postait un
article en ligne disant : « Le gouvernement devrait être
chargé d’une réponse systématique qui, on l’espère, stoppera
de la même manière que les attaques de Pearl Harbor ont été
stoppées, c'est-à-dire, avec la destruction du système responsable
de ce drame 61)
Même si ces comparaisons ne semblent pas injustifiées, elles sont
toutefois indéniablement la source d’un resserrement patriotique
du people américain, et ont conduit le gouvernement à adopter une
politique stricte et restrictive.
Les
informations de CBS ont rapporté que le president lui-même, avant
de se coucher le soir du 11 Septembre, a écrit dans son journal: “Le
Pearl Harbor du 21eme siècle s’est produit aujourd’hui”
62)
Le président Bush lui même effectue le comparaison récurrente du
11 Septembre avec Pearl Harbor et définit ainsi sa politique de
réponse à ces attaques, en faisant entrer les Etats Unis en guerre,
non pas dans le deuxième guerre mondiale comme suite à Pearl
Harbor, mais dans une lutte sans merci contre le terrorisme.
Par ces rapprochements incessants, la peur de la population
américaine se fait sentir. Une Troisième Guerre Mondiale, Pearl
Harbor, pourquoi pas la fin de l’Amérique ? La population a
besoin de riposter. Dans des statistiques effectuées par le
Washington Post, rude concurrent du New York Times, la
peur américaine semble à son paroxysme en ce Jeudi 20 Septembre
2001.
Bush
Addresses Nation; War on Terrorism
63)
The latest Washington Post-ABC News poll is based on telephone
interviews with 526 randomly selected adults nationwide and was
conducted Thursday evening, Sept. 20, following President Bush's
televised address to the nation. The margin of sampling error for
overall results is plus or minus 5 percentage points. Sampling error
is only one of many potential sources of error in this or any other
public opinion poll. Results of overnight polls that attempt to
measure opinions about fast-changing news events should be
interpreted with extra caution. Interviewing was conducted by TNS
Intersearch of Horsham, Pa.
*=
less than 0.5 percent
1. Do you approve or disapprove of the way George W. Bush is
handling the U.S. response to last week's terrorist attacks?
Approve Disapprove No opin.
9/20/01
91 5 4
9/13/01*
91 7 2
*9/13/01
"this week's"
Il semble clair que la population américaine soutient l’action
menée en Irak. Aucune remise en question, aucune nuance, les
Américains doivent trouver leur coupable et le punir, sans
distinction aucune.
Ces
comparaisons répétitives sont toutefois remises en questions au
sein même du prestigieux journal grâce à Susan Sontag, essayiste
états-unienne et chroniqueuse de renommée du New York Times,
qui questionne l’éternelle comparaison de la lutte anti-terroriste
à une guerre.
Des guerres contre des ennemis
tells que le cancer, la pauvreté, la drogue, sont connues pour être
sans fin. Il y aura toujours le cancer, la pauvreté et la drogue.
Tout comme il y aura toujours des terroristes méprisables, des
meurtriers comme ceux qui ont perpétrés ces attaques il y aura un
an jour pour jour demain, tout comme il y aura toujours des
défenseurs de la liberté (comme les résistants français, et le
congrès national africain), eux aussi appelés terroristes par ceux
qu’ils opposaient, mais ré étiquetés par l’histoire. Lorsqu’un
président déclare la guette au cancer, à la pauvreté, ou à la
drogue, nous savons que cette « guerre » est une
métaphore. Cette guerre, la guerre que l’Amérique a déclaré
contre le terrorisme, est-elle une métaphore ? 64)
Susan
Sontag, dont l’engagement politique contre la guerre du Vietnam,
puis contre la guerre en Irak fut de notoriété publique 65),
dénonce de fait ces métaphores qui n’en sont pas puisqu’elles
se réfèrent à des faits bien réels, tels que la souffrance du
peuple Irakien, ou encore des soldats américains.
Soldats américains qu’elle ne soutiendra pas lors du scandale
d’Abu Grahïb, et de ses photos honteuses publiées.
Le
New York Times
va devoir faire face à ses propres démons, ses propres égarements,
qu’il mettra un certain temps pour comprendre et finalement
admettre. C’est un journal dans la tourmente, un journal
déboussolé, le New
York Times est le
reflet d’une Amérique perdue dans une guerre sans fin.
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