jeudi 12 septembre 2013

b) “The Emperor's New Hump”

Le thème de la campagne électorale 2004 de G.W. Bush était sans aucun doute la sécurité des Etats-Unis face au terrorisme grandissant, que seul le président sortant était évidemment capable d’affronter.
Dans les semaines précédant les élections présidentielles du 2 Novembre 2004, le New York Times est en effervescence. En plus des élections elles-mêmes, les journalistes planchaient sur deux projets explosives pouvant chacun influencer l’issue de la course à la maison blanche.
En novembre, une semaine avant le jour J des élections, le New York Times publiait un article sans indulgence à propos d’un dépôt de munitions disparus qui contenait environ 400 tonnes d’explosifs de haute densité nécessaires pour les bombardements aériens et qui avaient été laissés sans surveillance après l’invasion américaine.

Le gouvernement interim Irakien a averti les Etats-Unis et les inspecteurs nucléaires internationaux que 380 tonnes d’explosifs conventionnels, utilises pour démolir des immeubles, faire des têtes de missiles et détoner des armes nuléaires, manquent d’une des anciennes installations militaires Irakienne les plus sensibles. La grande installation appellée « Al Qaqaa » aurait du être sous le contrôle militaire Américain, mais se trouve être maintenant un “no man’s land”, pillé aussi récemment que dimanche. Des inspecteurs d’armes venant des Nations Unies avaient surveillé ces explosives pendant plusieurs années, mais la Maison Blanche et le Pentagone avouent que ces explosifs ont bien disparus peu après l’invasion américaine l’an dernier. 163)

Dénonçant ainsi le manqué d’organisation de l’armée Américaine, le New York Times semblait décidé à ne pas céder à la dictature du silence imposée jusqu’alors par l’administration Bush. Les journalistes ne font plus passer la guerre en Irak pour ce qu’elle n’est pas : une réussite américaine. La débandade de l’armée américaine est ainsi clairement soulignée, et la perte de 400 tonnes d’armes dangereuses n’est pas dissimulée.

The White House said President Bush's national security adviser, Condoleezza Rice, was informed within the past month that the explosives were missing. It is unclear whether President Bush was informed. American officials have never publicly announced the disappearance, but beginning last week they answered questions about it posed by The New York Times and the CBS News program "60 Minutes." "This is a high explosives risk, but not necessarily a proliferation risk," one senior Bush administration official said. The International Atomic Energy Agency publicly warned about the danger of these explosives before the war, and after the invasion it specifically told United States officials about the need to keep the explosives secured, European diplomats said in interviews last week. 164)

Les mensonges de la Maison Blanche sont ainsi notés noir sur blanc. L’administration Bush minimise la perte de ces explosifs aidant à déclencher des armes nucléaires, et tente une nouvelle fois de cacher les éventuelles conséquences de cette irresponsabilité. L’implication du président Bush est laissée en suspens mais cet article publié à quelques jours des élections n’est certainement pas pour l’aider à retrouver place à la Maison Blanche.
Trois jours après ce premier exposé, le journal devait publier un deuxième article encore plus brûlant concernant la « bosse » de George Bush, lors des débats politiques précédant les élections . En effet, la rumeur soupçonnait le président sortant de porter un dispositif électronique placé dans son dos et relié à son oreille afin de tricher pendant les joutes oratoires avec ses adversaires. L’histoire de la bosse avait commence lorsque plusieurs téléspectateurs du débat présidentiel remarquèrent un étrange rectangle saillant sur le dos de la veste du président Bush. Les téléspectateurs n’auraient d’ailleurs jamais du voir cette partie de l’anatomie de Bush, car en effet, l’équipe de Bush avait demandé inexplicablement que les cameras ne prenne pas de plans arrière des candidates. Fox TV ignora les consignes et plaça donc deux cameras derrière les candidats.
La “Bulgegate story”, appelée ainsi en référence à l’affaire du Watergate, a largement attiré l’attention de plusieurs sites Internet ainsi que de journaux bien plus influents tels que le Washington Post ou même le New York Times. Pourtant leur analyse est restée très légère, voire humoristique, et a mis de côté une analyse critique et investigatrice :

What was that bulge in the back of President Bush's suit jacket at the presidential debate in Miami last week? […] When the online magazine Salon published an article about the rumors on Friday, the speculation reached such a pitch that White House and campaign officials were inundated with calls. First they said that pictures showing the bulge might have been doctored. But then, when the bulge turned out to be clearly visible in the television footage of the evening, they offered a different explanation. "There was nothing under his suit jacket," said Nicolle Devenish, a campaign spokeswoman. "It was most likely a rumpling of that portion of his suit jacket, or a wrinkle in the fabric." Ms. Devenish could not say why the "rumpling" was rectangular. Nor was the bulge from a bullet proof vest, according to campaign and White House officials; they said Mr. Bush was not wearing one. 165)

Grâce à une organisation minutieuse pour étouffer « l’affaire de la bosse », les journaux américains n’ont pas semblé accorder beaucoup d’importance à cet évènement. Pourtant, l’hypothèse de tricherie n’est pas la première se rapportant au président Bush, et n’est pas plus légère et frivole que l’affaire Lewinsky du temps du président Clinton par exepmle. Alors pourquoi ne pas analyser de plus près cette mystérieuse bosse ?

The New York Times killed a story that could have changed the election—because it could have changed the election. 166)

Dans son article détonant, Dave Lindorff affirme que le New York Times aurait pourtant étudié la question de près mais que quelques jours avant son éventuelle publication, les rédacteurs en chef se seraient rétractés pour ne pas influencer l’élection à venir. Une tentative d’objectivité, ou un manque de transparence?
Cette investigation en effet, exceptionnelle au sein des rédactions américaines, n’a en effet jamais vu le jour de sa publication. Maintenant, tout comme pour les armes de destruction massives imaginaires qui étaient le principal prétexte de la guerre en Irak, le Times clamait que l’histoire de la bosse n’avait jamais existé.
En fait, plusieurs sources incluant un journaliste du New York Times ont confié au journal Extra, que beaucoup d’efforts avaient été mis dans l’analyse de cette bosse et par conséquence de l’analyse de la compétence et de l’intégrité du président. Ces sources déclaraient qu’un article avant été écrit, préparé à la publication avant que les rédacteurs en chef ne le suppriment à la dernière minute, le mercredi 27 Octobre au soir. Un journaliste du Times expliqua que les membres de la rédaction étaient plutôt contraries par la suppression de l’histoire.
Les rédacteurs en chefs préférèrent en effet ne pas donner suite à cet article car le jour de l’élection était trop proche pour publier un papier aussi scandaleux. Des e-mails de la rédaction du Times à des scientifiques de la NASA confirment les affirmations des diverses sources.
Tout commença quand Robert Nelson, un astronome renommé et expert en analyse photographique de la NASA et plus précisément du  Jet Propulsion Laboratory, ayant travaillé sur le projet Cassini, entendit parler de la bosse et de ses nombreuses hypothétiques utilités dans le journal Salon,. Poussé par de la curiosité professionnelle, il se procura la photographie du dos du président, et la soumit au même processus qu’il utilisait lors d’analyses de photographies de sondes spatiales : améliorer la définition et le contraste. Les résultats furent déplorables. Ce qui ressemblait à une bosse rectangulaire est en fait clairement un harnais élaboré relié à un fil passant au dessus de l’épaule gauche. And They Still Duck It Today... How the New York Times Killed the Bush Bulge Story By DAVE LINDORFF
Nelson, choqué par sa découverte, essaya immédiatement d’avertir les medias. D’abord il contacta deux journaux locaux : The Post-Gazette à Pittsburgh et The Star-News à Pasadena, ville de JPL et de lui-même. Les deux journaux refusèrent de publier cette histoire, Nelson décida alors de contacter le Los-Angeles Times. Le journal hésita trois jours, et ne fit finalement aucun article. Il envoya alors l’histoire au célèbre New York Times, plus précisément à deux journalistes scientifiques, Andy Revkin and John Schwartz, qui enquêtèrent plus profondément sur le sujet.

About three weeks before the election, I gave the photos to the L.A. Times Eric Slater, who shopped them around the paper. After four days, in which they never got back to me, I went to the New York Times. 167)

Le Times était très intéressé au départ, comme l’explique Nelson. Il y avait peut-être après tout matière à enquêter et écrire un article. La bosse n’était donc ni le résultat d’un costume de mauvaise qualité, ni celui de photographies retouchées par ordinateur comme rapportait le Times le 9 octobre 2004 dans son premier article :

Ils dirent tout d’abord que les images montrant la bosse étaient retouchées. Mais, lorsque la bosse s’avérait être clairement visible le soir de l’émission de télévision, ils offrirent une explication différente. 168)

Les journalistes scientifiques, William Broad, Andrew Revkin et John Schwartz, assurent alors Nelson qu’un article sera publié la semaine du 25 Octobre:

Cela a été repoussé à cause du caractère explosif de l’histoire, dit il, tout d’abord à Mercredi, et ensuite au Jeudi 28 octobre. Cela aurait toujours fait cinq jours avant le jour des Elections. 169)


Un e-mail datant du 26 Octobre envoyé par Schwartz indique que l’enquête est menée avec sérieux :

Hey there, Dr. Nelson—this story is shaping up very nicely, but my editors have asked me to hold off for one day while they push through a few other stories that are ahead of us in line. I might be calling you again for more information, but I hope that you’ll hold tight and not tell anyone else about this until we get a chance to get our story out there.
Please call me with any concerns that you might have about this, and thanks again for letting us tell your story. 170)

Mais, le 28 Octobre, toujours aucun article sur le New York Times. Après avoir appris par les journalistes travaillant sur l’article que la publication avait été supprimée la veille par les rédacteurs en chefs, Nelson envoyait les preuves de la tricherie présidentielle au magazine Salon, qui publia les photos en première page le 29 Octobre. Ce même jour, Nelson recevait un nouveau mail de Schwartz :

Congratulations on getting the story into Salon. It’s already all over the Web in every blog I’ve seen this morning. I’m sorry to have been a source of disappointment and frustration to you, but I’m very happy to see your story getting out there. Best wishes, John. 171)

En fait, Schwartz, Revkin et Broad, avaient utilisé les images de Nelson comme point de départ pour une plus grosse enquête analysant la faute grave du président durant les débats, et la déception qui en découlait. Nelson n’avait pas été le seul à être contacté par le Times: Le physicien Kurt Gottfried, avait été appelé pour attester de l’authenticité des diplômes de Nelson, et Jim Atkinson, à la tête d’une entreprise de débogage à Gloucester :

The Times reporters called me a number of times on this story. I was able to identify the object Nelson highlighted definitively as a magnetic cueing device that uses a wire yoke around the neck to communicate with a hidden earpiece—the kind of thing that is used routinely now by music performers, actors, reporters—and by politicians. The Times reporters called me repeatedly. They were absolutely going after this story aggressively, though at one point they told me they were concerned that their editors were going to kill it. 172)

Ironiquement, le 1er Novembre 2004, soit un jour avant le jour J, le New York Times publiait un article surprenant sur le devoir des journalistes en temps d’élection: Jusqu’où doit aller la liberté de la presse ? Doit on informer de tout sous prétexte que les votants ont le droit de savoir, même si cela implique d’influencer leur vote ?

Every election season, a debate over a journalistic October surprise takes place. Four years ago, a television station in Portland, Me., reported five days before the presidential election that George W. Bush had been arrested for driving under the influence of alcohol back in 1976. In the California gubernatorial election last year, The Los Angeles Times published the accounts of 16 women who said that they had been sexually mistreated and humiliated by Arnold Schwarzenegger, the first of the articles running five days before the vote. 173)

Le Times s’interroge une nouvelle fois en connaissance de cause: le journal avait effectivement été vivement critiqué pour son article « Huge Cache of Explosives Vanished From Site in Iraq », portant sur 400 tonnes de munitions disparues à Al-Qaqaa, préjudiciant ainsi la campagne de Bush quelques jours seulement avant les élections.

Last Monday, The New York Times and CBS News reported that the Iraqi interim government had warned the United States and international nuclear inspectors that nearly 380 tons of powerful conventional explosives were missing from the Qaqaa munitions facility in Iraq. In the ensuing uproar over the revelations, charges of journalistic impropriety and partisanship fly and many question whether the news media should report something so controversial so close to Election Day.There are no firm rules guiding news organizations through these journalistic minefields. Some journalists have no compunction about printing or broadcasting controversial news about a political candidate in the last weeks of an election campaign. Others apply calculus to their deliberations, trying to determine the equation of topic, distance and fairness. Still others refuse to run any investigative articles in the week, or sometimes in the last two days, before the election. 174)

Et au rédacteur en chef du Times d’ajouter un commentaire sur le bien fondé de la publication de tels articles controversés peu deux jours avant le vote:

I can’t say categorically you should not publish an article damaging to a candidate in the last days before an election. . . . If you learned a day or two before the election that a candidate had lied about some essential qualification for the job—his health or criminal record—and there’s no real doubt and you’ve given the candidate a chance to respond and the response doesn’t cast doubt on the story, do you publish it? Yes. Voters certainly have a right to know that. 175)

Etrangement, malgré les affirmations de Keller sur le droit des électeurs à connaître la vérité, le Times n’a apparemment pas choisi de publier les conclusions de Nelson à quelques jours des élections. Et il n’est pas le seul. Que dire du Los Angeles Times n’ayant pris que quatre jours pour finalement refuser d’approfondir le sujet ? Que dire des journaux locaux, ayant pourtant moins d’influence que le Times et pouvant ainsi se permettre peut être plus d’audace qu’un quotidien mondialement connu et lu ?Aucune mention de la « bosse » n’a plus été faite entre le 29 Octobre et le jour des élections, ni dans le New York Times, ni dans le Washington Post.
La seule référence à la bosse mystérieuse fut publiée par Elisabeth Bumiller après les élections. Le style est léger, l’hypothèse d’une quelconque tricherie semble avoir été oubliée, et elle cite une source anonyme (encore une) déclarant que la bosse ne serait qu’un gilet par balles, et que le tailleur serait vexé d’avoir été critiqué par la Maison Blanche.

Now that the election is over, there remains a piece of unfinished business: Whatever was that strange bulge in the back of President Bush's suit jacket that was visible during the three debates? Internet conspiracy theorists and some Democrats have insisted that the bulge was the outline of a radio receiver that got debate answers from an offstage adviser and transmitted them into a hidden presidential earpiece. But Andrew H. Card Jr., the White House chief of staff, dismissed the bulge as nothing more than "a poorly tailored suit."[…]In fact, Mr. de Paris is still making suits for Mr. Bush, and he was not at all happy to have four decades of work - he has been the tailor to every president since Lyndon B. Johnson - called into question. "Well, I feel bad, but I cannot do anything," Mr. de Paris said in an interview on Friday in his shop on 14th and G Streets, just three blocks from the White House. 176)

Le New York Times esquive ainsi l’histoire de la bosse, tout comme ses camarades du Los Angeles Times, et même du Washington Post. Bob Woodward, célèbre pour ses reportages sur l’affaire du Watergate, était au départ, lui aussi, très intéressé par cette histoire de bosse et demanda à Nelson de lui envoyer les photos. Pourtant après quelques jours, malgré l’attestation d’authenticité des photographies, Woodward recule:

He told me, 'Look, I’m going to have to go through a lot of hoops to get this story published. You’re already talking to Salon. Why don’t you work with them?'" 177)

La publication de la scandaleuse et honteuse histoire de la bosse aurait elle pu changer le cours des élections? Il est pourtant certain que cette affaire aurait pris une place très importante pendant les derniers jours de la campagne. Selon les sondages, c’est pour ses valeurs morales que le président Bush fut réélu ce 4 Novembre 2004. Il semble ainsi logique de penser, que la découverte d’une telle supercherie aurait pesé dans la balance, ou plutôt dans les urnes. Selon l’ancien professeur de journalisme à Berkeley, Ben Bagdikian :

Cheating on a debate should affect an election, the decision not to let people know this story could affect the history of the United States.178)

Selon le journaliste Revkin, lors d’un e-mail envoyé au médiateur David Okrent, le choix des journaux est plutôt stupéfiant :

I’d certainly choose [Nelson’s] opinion over that of a tailor, referring to news reports that cited the man who makes the president’s suits. Hard to believe that so many in the media chose the tailor, even in coverage after the elections. 179)


Le 11 septembre, la peur du terrorisme et la lutte enragé contre des ennemis mystérieux ont secoué la presse américaine et ont sans aucun doute freiné ses élans vers plus de vérité. Refuser de faire du tord au président héro est une nouvelle preuve que les médias n’ont pas réussi à trouver la balance entre vérité diffusable et scoop inutile. Malgré une remise en question remarqué le 26 mai 2004, malgré la promesse de mener plus d’enquêtes agressives, le New York Times a pour une fois évité le scandale mais tout en en créant un nouveau. Plus de transparence et d’autocritique ? Le bilan est mitigé, et le scandale continue…encore.    

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