Le thème de la campagne électorale 2004 de G.W. Bush était sans
aucun doute la sécurité des Etats-Unis face au terrorisme
grandissant, que seul le président sortant était évidemment
capable d’affronter.
Dans les semaines précédant les élections présidentielles du 2
Novembre 2004, le New
York Times est en effervescence. En plus des élections
elles-mêmes, les journalistes planchaient sur deux projets
explosives pouvant chacun influencer l’issue de la course à la
maison blanche.
En novembre, une semaine avant le jour J des élections, le New
York Times publiait un article sans indulgence à propos d’un
dépôt de munitions disparus qui contenait environ 400 tonnes
d’explosifs de haute densité nécessaires pour les bombardements
aériens et qui avaient été laissés sans surveillance après
l’invasion américaine.
Le gouvernement interim Irakien
a averti les Etats-Unis et les inspecteurs nucléaires internationaux
que 380 tonnes d’explosifs conventionnels, utilises pour démolir
des immeubles, faire des têtes de missiles et détoner des armes
nuléaires, manquent d’une des anciennes installations militaires
Irakienne les plus sensibles. La grande installation appellée « Al
Qaqaa » aurait du être sous le contrôle militaire Américain,
mais se trouve être maintenant un “no man’s land”, pillé
aussi récemment que dimanche. Des inspecteurs d’armes venant des
Nations Unies avaient surveillé ces explosives pendant plusieurs
années, mais la Maison Blanche et le Pentagone avouent que ces
explosifs ont bien disparus peu après l’invasion américaine l’an
dernier. 163)
Dénonçant ainsi le manqué d’organisation de l’armée
Américaine, le New York Times semblait décidé à ne pas
céder à la dictature du silence imposée jusqu’alors par
l’administration Bush. Les journalistes ne font plus passer la
guerre en Irak pour ce qu’elle n’est pas : une réussite
américaine. La débandade de l’armée américaine est ainsi
clairement soulignée, et la perte de 400 tonnes d’armes
dangereuses n’est pas dissimulée.
The White
House said President Bush's national security adviser, Condoleezza
Rice, was informed within the past month that the explosives were
missing. It is unclear whether President Bush was informed. American
officials have never publicly announced the disappearance, but
beginning last week they answered questions about it posed by The
New
York Times
and the CBS News program "60 Minutes." "This is a high
explosives risk, but not necessarily a proliferation risk," one
senior Bush administration official said. The International Atomic
Energy Agency publicly warned about the danger of these explosives
before the war, and after the invasion it specifically told United
States officials about the need to keep the explosives secured,
European diplomats said in interviews last week. 164)
Les mensonges de la Maison Blanche sont ainsi notés noir sur blanc.
L’administration Bush minimise la perte de ces explosifs aidant à
déclencher des armes nucléaires, et tente une nouvelle fois de
cacher les éventuelles conséquences de cette irresponsabilité.
L’implication du président Bush est laissée en suspens mais cet
article publié à quelques jours des élections n’est certainement
pas pour l’aider à retrouver place à la Maison Blanche.
Trois jours après ce premier exposé, le journal devait publier un
deuxième article encore plus brûlant concernant la « bosse »
de George Bush, lors des débats politiques précédant les
élections . En effet, la rumeur soupçonnait le président
sortant de porter un dispositif électronique placé dans son dos et
relié à son oreille afin de tricher pendant les joutes oratoires
avec ses adversaires. L’histoire de la bosse avait commence lorsque
plusieurs téléspectateurs du débat présidentiel remarquèrent un
étrange rectangle saillant sur le dos de la veste du président
Bush. Les téléspectateurs n’auraient d’ailleurs jamais du voir
cette partie de l’anatomie de Bush, car en effet, l’équipe de
Bush avait demandé inexplicablement que les cameras ne prenne pas de
plans arrière des candidates. Fox TV ignora les consignes et plaça
donc deux cameras derrière les candidats.
La “Bulgegate story”, appelée ainsi en référence à l’affaire
du Watergate, a largement attiré l’attention de plusieurs
sites Internet ainsi que de journaux bien plus influents tels que le
Washington Post ou même le New York Times. Pourtant
leur analyse est restée très légère, voire humoristique, et a
mis de côté une analyse critique et investigatrice :
What was that
bulge in the back of President
Bush's
suit jacket at the presidential debate in Miami last week? […] When
the online magazine Salon published an article about the rumors on
Friday, the speculation reached such a pitch that White House and
campaign officials were inundated with calls. First they said that
pictures showing the bulge might have been doctored. But then, when
the bulge turned out to be clearly visible in the television footage
of the evening, they offered a different explanation. "There was
nothing under his suit jacket," said Nicolle Devenish, a
campaign spokeswoman. "It was most likely a rumpling of that
portion of his suit jacket, or a wrinkle in the fabric." Ms.
Devenish could not say why the "rumpling" was rectangular.
Nor was the bulge from a bullet proof vest, according to campaign and
White House officials; they said Mr. Bush was not wearing one. 165)
Grâce à une organisation minutieuse pour étouffer « l’affaire
de la bosse », les journaux américains n’ont pas semblé
accorder beaucoup d’importance à cet évènement. Pourtant,
l’hypothèse de tricherie n’est pas la première se rapportant au
président Bush, et n’est pas plus légère et frivole que
l’affaire Lewinsky du temps du président Clinton par exepmle.
Alors pourquoi ne pas analyser de plus près cette mystérieuse
bosse ?
The
New York Times
killed a story that could have changed the election—because it
could have changed the election. 166)
Dans
son article détonant, Dave Lindorff affirme que le
New York Times
aurait pourtant étudié la question de près mais que quelques jours
avant son éventuelle publication, les rédacteurs en chef se
seraient rétractés pour ne pas influencer l’élection à venir.
Une
tentative d’objectivité, ou un manque de transparence?
Cette investigation en effet, exceptionnelle au sein des rédactions
américaines, n’a en effet jamais vu le jour de sa publication.
Maintenant, tout comme pour les armes de destruction massives
imaginaires qui étaient le principal prétexte de la guerre en Irak,
le Times clamait que l’histoire de la bosse n’avait jamais
existé.
En fait, plusieurs sources incluant un journaliste du New York
Times ont confié au journal Extra, que beaucoup d’efforts
avaient été mis dans l’analyse de cette bosse et par conséquence
de l’analyse de la compétence et de l’intégrité du président.
Ces sources déclaraient qu’un article avant été écrit, préparé
à la publication avant que les rédacteurs en chef ne le suppriment
à la dernière minute, le mercredi 27 Octobre au soir. Un
journaliste du Times expliqua que les membres de la rédaction
étaient plutôt contraries par la suppression de l’histoire.
Les
rédacteurs en chefs préférèrent en effet ne pas donner suite à
cet article car le jour de l’élection était trop proche pour
publier un papier aussi scandaleux. Des e-mails de la rédaction du
Times à des scientifiques de la NASA confirment les
affirmations des diverses sources.
Tout commença quand Robert Nelson, un astronome renommé et expert en analyse photographique de la NASA et plus précisément du Jet Propulsion Laboratory, ayant travaillé sur le projet Cassini, entendit parler de la bosse et de ses nombreuses hypothétiques utilités dans le journal Salon,. Poussé par de la curiosité professionnelle, il se procura la photographie du dos du président, et la soumit au même processus qu’il utilisait lors d’analyses de photographies de sondes spatiales : améliorer la définition et le contraste. Les résultats furent déplorables. Ce qui ressemblait à une bosse rectangulaire est en fait clairement un harnais élaboré relié à un fil passant au dessus de l’épaule gauche. And They Still Duck It Today... How the New York Times Killed the Bush Bulge Story By DAVE LINDORFF
Tout commença quand Robert Nelson, un astronome renommé et expert en analyse photographique de la NASA et plus précisément du Jet Propulsion Laboratory, ayant travaillé sur le projet Cassini, entendit parler de la bosse et de ses nombreuses hypothétiques utilités dans le journal Salon,. Poussé par de la curiosité professionnelle, il se procura la photographie du dos du président, et la soumit au même processus qu’il utilisait lors d’analyses de photographies de sondes spatiales : améliorer la définition et le contraste. Les résultats furent déplorables. Ce qui ressemblait à une bosse rectangulaire est en fait clairement un harnais élaboré relié à un fil passant au dessus de l’épaule gauche. And They Still Duck It Today... How the New York Times Killed the Bush Bulge Story By DAVE LINDORFF
Nelson, choqué par sa découverte, essaya immédiatement d’avertir
les medias. D’abord il contacta deux journaux locaux : The
Post-Gazette à Pittsburgh et The Star-News à Pasadena,
ville de JPL et de lui-même. Les deux journaux refusèrent de
publier cette histoire, Nelson décida alors de contacter le
Los-Angeles Times. Le journal hésita trois jours, et ne fit
finalement aucun article. Il envoya alors l’histoire au célèbre
New York Times, plus précisément à deux journalistes
scientifiques, Andy Revkin and John Schwartz, qui enquêtèrent plus
profondément sur le sujet.
About three
weeks before the election, I gave the photos to the L.A.
Times’
Eric Slater, who shopped them around the paper. After four days, in
which they never got back to me, I went to the New
York Times.
167)
Le Times était très intéressé au départ, comme l’explique
Nelson. Il y avait peut-être après tout matière à enquêter et
écrire un article. La bosse n’était donc ni le résultat d’un
costume de mauvaise qualité, ni celui de photographies retouchées
par ordinateur comme rapportait le Times le 9 octobre 2004
dans son premier article :
Ils dirent tout d’abord que
les images montrant la bosse étaient retouchées. Mais, lorsque la
bosse s’avérait être clairement visible le soir de l’émission
de télévision, ils offrirent une explication différente. 168)
Les journalistes scientifiques,
William Broad, Andrew Revkin et John Schwartz, assurent alors
Nelson qu’un article sera publié la semaine du 25 Octobre:
Cela a été repoussé à cause
du caractère explosif de l’histoire, dit il, tout d’abord à
Mercredi, et ensuite au Jeudi 28 octobre. Cela aurait toujours fait
cinq jours avant le jour des Elections. 169)
Un e-mail datant du 26 Octobre envoyé par Schwartz indique que
l’enquête est menée avec sérieux :
Hey there,
Dr. Nelson—this story is shaping up very nicely, but my
editors have asked me to hold off for one day while they push through
a few other stories that are ahead of us in line. I might be calling
you again for more information, but I hope that you’ll hold tight
and not tell anyone else about this until we get a chance to get our
story out there.
Please call
me with any concerns that you might have about this, and thanks again
for letting us tell your story.
170)
Mais, le 28 Octobre, toujours aucun article sur le New York Times.
Après avoir appris par les journalistes travaillant sur l’article
que la publication avait été supprimée la veille par les
rédacteurs en chefs, Nelson envoyait les preuves de la tricherie
présidentielle au magazine Salon, qui publia les photos en première
page le 29 Octobre. Ce même jour, Nelson recevait un nouveau mail de
Schwartz :
Congratulations
on getting the story into Salon. It’s already all over the Web in
every blog I’ve seen this morning. I’m sorry to have been a
source of disappointment and frustration to you, but I’m very happy
to see your story getting
out there. Best wishes, John. 171)
En fait, Schwartz, Revkin et Broad, avaient utilisé les images de
Nelson comme point de départ pour une plus grosse enquête analysant
la faute grave du président durant les débats, et la déception qui
en découlait. Nelson n’avait pas été le seul à être contacté
par le Times: Le physicien Kurt Gottfried, avait été appelé
pour attester de l’authenticité des diplômes de Nelson, et Jim
Atkinson, à la tête d’une entreprise de débogage à Gloucester :
The Times reporters called me a number of times on this story. I was able to identify the object Nelson highlighted definitively as a magnetic cueing device that uses a wire yoke around the neck to communicate with a hidden earpiece—the kind of thing that is used routinely now by music performers, actors, reporters—and by politicians. The Times reporters called me repeatedly. They were absolutely going after this story aggressively, though at one point they told me they were concerned that their editors were going to kill it. 172)
Ironiquement, le 1er Novembre 2004, soit un jour avant le jour J, le
New York Times publiait un article surprenant sur le devoir
des journalistes en temps d’élection: Jusqu’où doit aller la
liberté de la presse ? Doit on informer de tout sous prétexte
que les votants ont le droit de savoir, même si cela implique
d’influencer leur vote ?
Every
election season, a debate over a journalistic October surprise takes
place. Four years ago, a television station in Portland, Me.,
reported five days before the presidential election that George W.
Bush had been arrested for driving under the influence of alcohol
back in 1976. In the California gubernatorial election last year, The
Los Angeles Times
published the accounts of 16 women who said that they had been
sexually mistreated and humiliated by Arnold Schwarzenegger, the
first of the articles running five days before the vote. 173)
Le Times s’interroge une nouvelle fois en connaissance de
cause: le journal avait effectivement été vivement critiqué pour
son article « Huge Cache of Explosives Vanished From Site in
Iraq », portant sur 400 tonnes de munitions disparues à
Al-Qaqaa, préjudiciant ainsi la campagne de Bush quelques jours
seulement avant les élections.
Last Monday,
The
New
York Times
and CBS
News
reported that the Iraqi interim government had warned the United
States and international nuclear inspectors that nearly 380 tons of
powerful conventional explosives were missing from the Qaqaa
munitions facility in Iraq. In the ensuing uproar over the
revelations, charges of journalistic impropriety and partisanship fly
and many question whether the news media should report something so
controversial so close to Election Day.There are no firm rules
guiding news organizations through these journalistic minefields.
Some journalists have no compunction about printing or broadcasting
controversial news about a political candidate in the last weeks of
an election campaign. Others apply calculus to their deliberations,
trying to determine the equation of topic, distance and fairness.
Still others refuse to run any investigative articles in the week, or
sometimes in the last two days, before the election. 174)
Et au rédacteur en chef du Times d’ajouter un commentaire
sur le bien fondé de la publication de tels articles controversés
peu deux jours avant le vote:
I can’t say
categorically you should not publish an article damaging to a
candidate in the last days before an election. . . . If you learned a
day or two before the election that a candidate had lied about some
essential qualification for the job—his health or criminal
record—and there’s no real doubt and you’ve given the candidate
a chance to respond and the response doesn’t cast doubt on the
story, do you publish it? Yes. Voters certainly have a right to know
that.
175)
Etrangement, malgré les affirmations de Keller sur le droit des
électeurs à connaître la vérité, le Times n’a
apparemment pas choisi de publier les conclusions de Nelson à
quelques jours des élections. Et il n’est pas le seul. Que dire du
Los Angeles Times n’ayant pris que quatre jours pour
finalement refuser d’approfondir le sujet ? Que dire des
journaux locaux, ayant pourtant moins d’influence que le Times
et pouvant ainsi se permettre peut être plus d’audace qu’un
quotidien mondialement connu et lu ?Aucune mention de la
« bosse » n’a plus été faite entre le 29 Octobre et
le jour des élections, ni dans le New York Times, ni dans le
Washington Post.
La seule référence à la bosse mystérieuse fut publiée par
Elisabeth Bumiller après les élections. Le style est léger,
l’hypothèse d’une quelconque tricherie semble avoir été
oubliée, et elle cite une source anonyme (encore une) déclarant que
la bosse ne serait qu’un gilet par balles, et que le tailleur
serait vexé d’avoir été critiqué par la Maison Blanche.
Now
that the election is over, there remains a piece of unfinished
business: Whatever was that strange bulge in the back of President
Bush's suit jacket that was visible during the three debates?
Internet conspiracy theorists and some Democrats have insisted that
the bulge was the outline of a radio receiver that got debate answers
from an offstage adviser and transmitted them into a hidden
presidential earpiece. But Andrew H. Card Jr., the White House chief
of staff, dismissed the bulge as nothing more than "a poorly
tailored suit."[…]In fact, Mr. de Paris is still making suits
for Mr. Bush, and he was not at all happy to have four decades of
work - he has been the tailor to every president since Lyndon B.
Johnson - called into question. "Well, I feel bad, but I cannot
do anything," Mr. de Paris said in an interview on Friday in his
shop on 14th and G Streets, just three blocks from the White House.
176)
Le New York Times esquive ainsi l’histoire de la bosse, tout
comme ses camarades du Los Angeles Times, et même du
Washington Post. Bob Woodward, célèbre pour ses reportages sur
l’affaire du Watergate, était au départ, lui aussi, très
intéressé par cette histoire de bosse et demanda à Nelson de lui
envoyer les photos. Pourtant après quelques jours, malgré
l’attestation d’authenticité des photographies, Woodward recule:
He told me, 'Look, I’m going to have to go through a lot of hoops to get this story published. You’re already talking to Salon. Why don’t you work with them?'" 177)
La publication de la scandaleuse et honteuse histoire de la bosse
aurait elle pu changer le cours des élections? Il est pourtant
certain que cette affaire aurait pris une place très importante
pendant les derniers jours de la campagne. Selon les sondages, c’est
pour ses valeurs morales que le président Bush fut réélu ce 4
Novembre 2004. Il semble ainsi logique de penser, que la découverte
d’une telle supercherie aurait pesé dans la balance, ou plutôt
dans les urnes. Selon l’ancien professeur de journalisme à
Berkeley, Ben Bagdikian :
Cheating
on a debate should affect an election, the decision not to let people
know this story could affect the history of the United States.178)
Selon le journaliste Revkin, lors d’un e-mail envoyé au médiateur
David Okrent, le choix des journaux est plutôt stupéfiant :
I’d
certainly choose [Nelson’s] opinion
over that of a tailor, referring to news reports that cited the man
who makes the president’s suits. Hard to believe that so many in
the media chose the tailor, even in coverage after the elections.
179)
Le 11 septembre, la peur du terrorisme et la lutte enragé contre des
ennemis mystérieux ont secoué la presse américaine et ont sans
aucun doute freiné ses élans vers plus de vérité. Refuser de
faire du tord au président héro est une nouvelle preuve que les
médias n’ont pas réussi à trouver la balance entre vérité
diffusable et scoop inutile. Malgré une remise en question remarqué
le 26 mai 2004, malgré la promesse de mener plus d’enquêtes
agressives, le New York Times a pour une fois évité le
scandale mais tout en en créant un nouveau. Plus de transparence et
d’autocritique ? Le bilan est mitigé, et le scandale
continue…encore.
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