Lorsque la France a
refusé de prendre part au « bourbier irakien »,
l’Amérique entière s’est sentie trahie par un pays qui jusque
là était l’un de ses meilleurs alliés politiques. Malgré
plusieurs désaccords sur certains dossiers, la France restait le
pays ayant soutenu l’Amérique lors de son combat indépendantiste.
Le 7 juin 1777, peu après la victoire des rebelles américains à
Saratoga,
le marquis de LaFayette déclarait :
Défenseur de cette liberté que
j'idolâtre, libre moi-même plus que personne, en venant comme ami
offrir mes services à cette république (des États-Unis) si
intéressante, je n'y porte nul intérêt personnel. Le bonheur de
l'Amérique est intimement lié au bonheur de toute l'humanité ;
elle va devenir le respectable et sûr asile de la vertu, de
l'honnêteté, de la tolérance, de l'égalité et d'une tranquille
liberté. 95)
Les attentats du World Trade Center à New York donnent l'occasion
aux deux pays de prouver au monde la solidarité qui les unit. Le 12
septembre 2001, la France propose à l'ONU une résolution condamnant
les attentats
du 11
Septembre : la résolution 1368 est adoptée par le
conseil de sécurité.
En 2004, la coopération entre les forces françaises et américaines
en Afghanistan se place dans la Force internationale d'assistance et
de sécurité (FIAS). Suite à l'accord du sommet d'Évian de juin
2003, la France a également envoyé plus de 200 commandos des forces
spéciales. Elles sont sous le contrôle des Américains et relèvent
aussi du commandement d'Henri Bentegeat, chef d'état-major des
armées. Elles reçoivent la confiance des forces américaines qui
leur offrent la totalité des informations disponibles. Elles sont
épaulées par l'action des forces aériennes israélo-américaines.
96)
Selon le quotidien américain Washington
Post (3 juillet
2005), les services secrets français et américains (respectivement
la DGSE
et la CIA),
ont créé en 2002
une unité spéciale à Paris, appelée Alliance Base.
Elle organise la recherche de suspects liés aux réseaux islamistes
terroristes. Cependant la France, au contraire des Anglais, se veut
« aux côtés » et « non derrière » les
États-Unis. Cette ambition fait apparaître de profondes
divergences, qui atteignent leur paroxysme en 2003. Ainsi, à partir
de 2002, la diplomatie française s'oppose de plus en plus
frontalement à la volonté de l'administration américaine
d'intervenir militairement en Irak. En mars 2003, la France est
ouvertement contre la guerre en Irak à l'ONU ; c'est le plus
grand contentieux entre les deux pays.
En France un sentiment négatif à l'égard de la politique des
États-Unis s’accentue. Lors d'un sondage
à l'occasion des élections présidentielles américaines, 33% des
Français se dirent « inquiets » à l’évocation des
États-Unis, contre 12 % quatre ans auparavant 97). Les
relations franco-américaines sont de plus polluées par des
mouvements hostiles existants dans les deux pays. La France possède
ainsi un fort bataillon d'Anti-Américains;
idem de l'autre côté de l'Atlantique
avec le « french
bashing »
où les blagues anti-françaises sont fréquentes et la littérature
anti-française abondante 98).
Parallèlement aux Etats-Unis un fort ressentiment à l'égard des
Français se développe dans les médias et dans l'opinion
américaine, ainsi qu’en témoignent plusieurs articles publiés
dans le New York Times. Malgré son prestige et sa quête
d’objectivité, le journal n’a eu de cesse de formuler de fausses
accusations contre la France et d’accroître un sentiment
anti-français au sein de la population américaine, de sorte que le
15 mai 2003, l'ambassadeur de France à Washington, Jean-David
Levitte, publie une lettre à l'attention des directeurs de presse
américains, dans laquelle il dénonce les fausses informations dont
la France est victime 99).
Cette haine anti-française s’est ainsi manifestée plusieurs fois
dans les colonnes du journal le plus lu d’Amérique. Deux
journalistes principalement ont clairement exprimé leur
ressentiment. Ces deux journalistes, William Safire et
l’éditorialiste Thomas L. Friedman, ont fait de la France leur
bouc émissaire préféré pendant plusieurs années.
Ancien conseiller de Madeleine
Albright, Thomas
L. Friedman,
éditorialiste au New-York Times est spécialisé dans les
affaires internationales. Connu pour son soutien à une politique
militaire états-unienne agressive, il a estimé dans un article
controversé intitulé « Our War with France », que la
France était désormais l’ennemi des États-Unis
après l’invasion de l’Irak par la Coalition anglo-américaine.
Il est temps pour les Américains
de s'en rendre compte la France n'est pas seulement notre alliée
agaçante. Elle n'est pas seulement notre rivale jalouse. La France
devient notre ennemie. 100)
Friedman ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’agit de déclarer la
guerre à la France. Une France non seulement agaçante et jalouse,
mais qui plus est un ennemi redoutable. Il prête à la France des
intentions peu scrupuleuses et justicières.
La France veut que l'Amérique
s'embourbe en Irak, dans l'espoir insensé qu'un affaiblissement des
Etats-Unis lui permettre de trouver sa place "légitime" :
égale à celle de l'Amérique, sinon supérieure, dans la gestion
des affaires mondiales.
101)
Ces accusations sont aussitôt renforcées par William Safire,
chroniqueur au New York Times, qui accuse la France à deux
reprises, le 13 mars et le 20 mars 2003 d'avoir livré à l'Irak un
produit utilisé dans les combustibles de missiles. Safire possède
beaucoup d’influence au New York Times et son amitié avec
le vice-président Dick Cheney est de notoriété publique. Selon
lui, une société française, CIS, aurait servi d'intermédiaire à
une société chinoise, Qilo, pour une vente transitant par la Syrie.
Après les attentats du 11 septembre il avait déjà lancé la rumeur
d'une rencontre à Prague entre Mohammed Atta, le chef des pirates de
l'air, et des espions irakiens, créant ainsi artificiellement un
lien entre Al Qaida et Saddam Hussein que l'administration Bush
cherchait désespérément à établir. En Mars 2003, Safire lance
encore de nouvelles rumeurs, comme celle de prétendre que des
Français aident l'Irak à se procurer des armes interdites, ce qui
est grave car cela donne des arguments à ceux qui veulent déclarer
une guerre.
La France, la Chine, et la
Syrie, ont une raison commune pour garder les troupes américaines et
anglaises en dehors de l’Irak: ces trois nations ne veulent
sûrement pas que le monde découvre que leurs gouvernements ont
fournis illégalement à Saddam Hussein des matériaux utilisés pour
construire des missiles à longue portée. 102)
Barry Lando, ancien journaliste de Time et du magazine 60
minutes de CBS, a prouvé que ces accusations étaient
mensongères, une contre-enquête que ni The New York Times ni
l'International Herald Tribune, n'ont accepté de publier,
mais qui est parue dans Le Monde, l'occasion pour Barry Lando
d'analyser et de critiquer le fonctionnement des médias américains :
Les informations qu'il publiait
dans son premier article ne me semblaient pas correctes. Dans ce
cas-là, je fais toujours une contre-enquête. J'ai contacté
Jean-Pierre Pertriaux, le président de CIS accusé d'avoir été
l'intermédiaire dans cette affaire. Il a été très ouvert et a
avoué qu'il avait essayé de vendre ce produit à l'Irak. Il m'a
aussi montré les e-mails dont Safire cite des extraits dans ces
articles. Lus dans leur entier, ces mails montrent que la transaction
n'a finalement pas eu lieu. Les citations extirpées n'ont pas de
sens, elles sont incohérentes. […]Avec tous ces éléments, j'ai
alors adressé un article aux pages éditoriales du New
York Times et de
l'International Herald
Tribune, qui avaient
publié l'article de Safire, disant : "Safire a tort pour telles
et telles raisons." The
New York Times m'a
répondu qu'il ne publie pas ce genre de réponse parce qu'on ne
critique pas ses propres vedettes. Et le lendemain, Safire a publié
un deuxième article, écrit dans la même veine, critiquant de
manière insultante Chirac qui avait nié ses premières accusations,
et traitant les services de renseignement français d'inspecteurs
Clouzot. 103)
Le New York Times ne tire donc pas sur ses stars et préfère
laisser circuler de fausses informations que de remettre en question
ses propos. Les deux
articles de Safire ont beaucoup été repris sur Internet, et du fait
de leur parution dans le New York Times, un journal de
référence mondiale, leurs informations sont présentées comme
vérifiées et incontestables.
The New York Times
et The Washington Post
ont publié des éditoriaux plutôt favorables à la guerre, mais les
opinions dans les médias ont été assez variées. Le problème est
que toutes les questions concernant cette crise irakienne se mêlent
au patriotisme ambiant, nuisant à la circulation d'une information
sereine et équilibrée. Peter Arnett s'est fait virer par NBC alors
qu'en critiquant la stratégie américaine, il n'en a pas dit plus
qu'un autre. 104)
De son côté, Thomas Friedman réclamait que
la France soit privée de son siège de membre permanent du Conseil
de sécurité de l’ONU. Elle s’était conduite comme un enfant en
« classe de maternelle » et « ne savait pas jouer
avec les autres » 105).
Le New York Times a ainsi fait preuve de
peu de recul face aux événements de politique internationale.
Acharnement et accusations ont été les maîtres mots. Les
journalistes William Safire et Friedman se sont perdus dans la
tourmente Irakienne, tout comme une autre star du Times,
Judith Miller, dont l’affaire a sans doute été la plus marquante
de la vie du journal
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