Aux Etats-Unis, l’histoire de la libération
de Jessica Lynch est sans doute considérée comme le moment le plus
héroïque du conflit. Il s’agit pourtant d’une des propagandes
de guerre les mieux organisées et mises en scène du gouvernement
américain connues à ce jour.
Juillet 2003 : l’occupation en Irak bat
son plein, et le New York Times ainsi que le Washington
Post consacrent tous deux leur « une » au retour
du soldat Jessica Lynch, 20 ans, parmi les siens. Les grands médias
américains diffusent alors son histoire avec une foule
impressionnante de détails. Jessica Lynch faisait partie des dix
soldats américains capturés par les forces irakiennes. Tombée dans
une embuscade le 23 mars, elle avait résisté jusqu'à la fin,
tirant sur ses attaquants jusqu'à épuiser ses munitions. Elle fut
finalement blessée par balle, poignardée, ficelée et conduite dans
un hôpital en territoire ennemi, à Nassiriya. Là, elle fut battue
et maltraitée par un officier irakien. Une semaine plus tard, des
unités d'élite américaines parvenaient à la libérer au cours
d'une opération surprise. Malgré la résistance des gardes
irakiens, les commandos parvinrent à pénétrer dans l'hôpital, à
s'emparer de Jessica et à la ramener en hélicoptère au Koweït. Le
soir même, le président Bush annonce à la nation, depuis la Maison
Blanche, la libération de Jessica Lynch. Huit jours plus tard, le
Pentagone remet aux médias une bande vidéo tournée pendant
l'exploit avec des scènes dignes des meilleurs films de guerre 80).
Une histoire sensationnelle qui devait déjà
être reprise au cinéma pour en faire un film similaire au grand On
a Sauvé le soldat Ryan. Le 1er avril 2003, New
York Times nous fait part de l’histoire de la jeune femme
et salue son retour auprès de sa famille.
Ils ont dit que cela allait être
la plus grande fête que cette ville ait jamais connu », dit le
cousin de Lynch, Sherri McFee lorsque les sirènes de police
approchaient. « Vous ne croiriez pas tous les cris de joie, les
embrassades, les qui ont continué », dit le cousin de Lynch,
Pam Nicolais. « Il fallait être là ».
81
Le but de Lynch est d’être institutrice. Mais elle a rejoint l’armée pour acquérir une certaine éducation et parce que c’était l’une des quelques opportunités accessible à la communauté agricole souffrant d’un taux de chômage de 15%, l’un des plus hauts de l’ouest de la virginie. « C’est le bébé de tout le monde ici », a déclaré un ami de la famille, Don Nelson. « Elle aimait son pays et était prête à le servir. C’est ce que mon pays veut, des enfants comme elle. A mes yeux, c’est un vrai héro. » 82)
L’héroïsme de la jeune Lynch est clairement mis en avant. Son courage et ce dénouement heureux sont une véritable bénédiction pour la presse qui s’arrache les moindres détails de cette histoire hors du commun.
Il y a cependant une grande ombre au tableau “parfait “ de
l’histoire de “private Lynch”. L’héroïque Jessica ne serait
finalement pas ce que la presse et en particulier le New York
Times semblaient décrire dans leurs articles élogieux. Un
certain nombre de journalistes du Los Angeles Times, du
Toronto Star, d'El País et de la chaîne BBC World,
se rendit à Nassiriya pour vérifier la version du Pentagone sur la
libération de Jessica.
Selon leur enquête auprès des médecins
irakiens qui avaient soigné la jeune fille, et confirmée par les
docteurs américains l'ayant auscultée après sa délivrance, les
blessures de Jessica (une jambe et un bras fracturés, une cheville
déboîtée) n'étaient pas dues à des tirs d'armes à feu, mais
simplement provoquées par l'accident du camion dans lequel elle
voyageait. Elle n'avait pas non plus été maltraitée. Au contraire,
les médecins avaient tout fait pour bien la soigner
Elle avait
perdu beaucoup de sang, a raconté le docteur Saad Abdul Razak, et
nous avons dû lui faire une transfusion. Heureusement des membres de
ma famille ont le même groupe sanguin qu'elle : O positif. Et nous
avons pu obtenir du sang en quantité suffisante. Son pouls battait à
140 quand elle est arrivée ici. Je pense que nous lui avons sauvé
la vie. 83)
La version officielle, selon laquelle elle
avait courageusement combattu les agresseurs irakiens, n’était
finalement qu’un tissu de mensonges, tout comme son « sauvetage »
dans un hôpital presque déserté, filmé à l’aide de caméras
infrarouges par un metteur en scène de Hollywood 84).
Les scènes furent enregistrées avec une caméra à vision nocturne
par un ancien assistant de Ridley Scott dans le film La Chute du
faucon noir (2001). Selon Robert Scheer, du Los Angeles Times,
ces images furent ensuite envoyées, pour montage, au commandement
central de l'armée américaine, au Qatar, et une fois supervisées
par le Pentagone, diffusées dans le monde entier 85).
Cela ne dissuada pas le New York Times
de soutenir la mise en scène du retour de Lynch à Elizabeth, en
Virginie-occidentale, images d’Epinal à l’appui, et le voisinage
disant combien ils se sentaient fiers. La presse n’a jamais semblé
aussi peu critique :
Vous
savez, sous Bush, le conformisme et le silence parmi les journalistes
sont pires que dans les années 1950. Pourquoi la majorité du
public américain croit-elle encore que Saddam Hussein était
derrière les attentats du 11 septembre ? Parce que les
médias n’ont eu de cesse de faire écho au discours du
gouvernement. 86)
Les
articles sur le soldat Lynch se succèdent et se ressemblent. Jessica
Lynch est le symbole d’une Amérique héroïque de retour au
« bercail ».
Ses forces
lui revenant, et ses blessures guérissant, Jessica Lynch retournera
aux Etats-Unis samedi, déclarèrent aujourd’hui des officiers de
l’hopital militaire en Allemagne.
87)
Le parcours de la jeune
femme est expliqué en détail. Le retour du soldat, orchestré par
le gouvernement Bush, a donc été médiatisé comme prévu. Le New
York Times a cédé à la pression
propagandiste de l’administration Bush.
Une interview de sa
famille est même publiée le 6 avril 2003 par un certain Jayson
Blair88),
un journaliste parmi d’autres à avoir perdu pied pendant le
tourbillon Irakien, l’un des nombreux journalistes à avoir perdu
toute crédibilité et dont la démission a marqué un tournant dans
l’approche de l’information et de la vérité au New
York Times.
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