Que
se passe-t-il lorsque le journal le plus respecté du pays (et du
monde ?) s’effondre ? Est-ce que cela nuit à la
crédibilité de l’institution même de la presse ? Il est
mondialement connu que la presse américaine est une institution
possédant un pouvoir vertigineux. Elle a l’initiative, elle
influence l’opinion publique, et plus généralement construit la
réalité que les Américains « voient ». Le fait que le
NYT écrive avec une telle autorité sur les armes de
destruction massives de Saddam Hussein et de ses liens avec les
terroristes a énormément pesé dans la balance à Washington. Le
sénateur d’Illinois, Dick Durbin déclare même dans un article de
Don Wycliff dans le Chicago Tribune:
«The Times’s
coverage blunted a lot of criticism and cowed a lot of critics.”135)
L’analyse de Daniel Okrent, publiée quatre jour après le “mea
culpa” du journal, ainsi que l’article du 26 mai 2004 ont
largement été repris par la presse américaine pendant un mois
après la diffusion du premier article. Pas moins d’une vingtaine
d’articles ont été publiés, les uns analysant les erreurs de
reportage du Times, et la façon dont ces erreurs avaient
affecté l’opinion publique sur la guerre, alors que d’autres se
sont concentrés sur la volonté du Times de parler à ses
lecteurs, et de révéler leurs erreurs.136)
L’échec cuisant du NYT semble ajouter une autre brèche à
la crise de crédibilité du journalisme américain de ces dernières
années. Pourtant, cela souligne aussi un progrès évident d’une
presse, ou du moins l’un de ses organisations les plus influente,
qui reconnaît ses failles, et communique avec ses lecteurs à propos
du procédé d’information. C’est sans aucun doute grâce à ce
cas sans précédent que la pratique du journalisme prend du recul,
s’analyse, et continue à progresser. De nombreux journaux, du plus
petit au plus influent dépendent tous des ressources considérables
du premier journal américain, qu’il s’agisse d’informations
nationales ou internationales.
L’hypothèse était que le New York Times était dans le
droit chemin, et que les lecteurs voyant le monde à travers ses
articles croyaient religieusement en chacun de ses reportages. Ainsi
lorsque le New York Times vacille, Gina Lubrano du San
Diego Union-Tribune déclare:
Dès que le NYT
vacille, il y a des conséquences sur des publications bien plus loin
qu’au centre de la grande pomme. Certains journaux régionaux,
incluant le Union-Tribune,
se servaient de ce service et d’autres services fournissant des
informations nationales et internationales qui sont inaccessibles à
leurs publications. Cela ne fait qu’un an que le Times
a avoué en première page que le journal avait été dupé par
Jayson Blair, un jeune reporter qui a fabriqué et plagié les
éditeurs du Union Tribune, chagrinés que certaines de ces
histoires soient passées sous le nez de leur radar journalistique.
137)
Ainsi l’erreur du Times ne concerne pas seulement le Times.
Jayson Blair avait déjà fait parler de lui, mais le Times ne
s’est pas arrêté là. Ce sont tous les journaux américains qui
subissent les répercutions de ce manque de discernement et
d’analyse. Au San Diego Paper, souscrivant au service du New
York Times, on appelle ainsi les rédacteurs en chef du journal à
plus de prudence et de recul face au traitement de l’information.
L’expérience du Times
montre que les éditeurs de l’Union Tribune doivent rajouter une
couche de scepticisme et écouter leurs propres instincts lorsque des
histoires ne semblent pas justes 138)
Dans d’autres journaux recevant
les informations du Times
par télégramme, la réaction est la même. Qu’allaient ils
pouvoir bien annoncer à leurs lecteurs ?
Le Mea Culpa du Times
a surprise les rédacteurs des autres journaux, et ils se demandaient
ce qu’il allaient dire à leurs lecteurs sur les histories du New
York Times
qu’ils avaient
publiées, qui sont maintenant discréditées. 139)
Paul Moore du Baltimore
Sun, cite l’un de ses rédacteurs
déclarant : “groups of readers will feel even more emboldened
now to demand we review our work.” 140), et à
Gene Hartbrecht du Orange Country Register de déclarer:
My
paper
will pledge to intensify the screening of all news service stories,
particularly the Times
[…]
and
pay
attention to the track record for accuracy of the individual
reporters as we have come to know their work.141)
Parce que l’échec du Times non content de décrédibiliser
son propre journal, décrédibilise aussi le Register. Ces
commentaires supposent que le New York Times est le seul
journal à blâmer, et démontrent le manque de reconnaissance que le
journalisme n’est pas seulement un groupe d’organisations
autonomes , mais une institution collective et sociale avec des buts
et des triomphes communs. Quelques exceptions cependant ont approuvé
le fait que cette crise n’étai pas unique au NYT, mais que
c’est aussi une crise globale, de tous les médias. Le médiateur
du Washington Post, Michael Getler souligne que les problèmes
du Times ne lui sont pas propres :
I think
there’s nothing more important than going back and looking at the
pre-war
coverage. There’s been nothing quite like this is the last several
decades. And every news organization needs to go back and see how
they did.142)
Au Los Angeles Times, Tim Rutten lui aussi s’exprime sur la
controverse autour de la couverture de la guerre en Irak qu’il juge
être l’une des plus sérieuses connues jusqu’alors.
[This is the]
most
serious of the credibility crises that have afflicted America’s
mainstream news media over the past two years. The Times,
not only failed to weigh the credibility of the information it was
reporting, it succeeded, through its lack of skepticism
on this issue, in amplifying the administration’s position. 143)
Le commentaire de Rutten a été repris par d’autres journalistes.
Paul Janensh par exemple, déclarait que cet aveu était bien pire
que le scandale « Jayson Blair » au Times et le
scandale de Jack Kelley au USA Today, lui aussi accusé de
plagiat et de « bidonnages » :
De
nouvelles histories ont été fabriquées et plagiées par des
menteurs chroniques. Mais ils n’ont pas supporté la justification
d’une guerre qui a coûté plus de 800 vies américaines et des
milliers de vies Irakiennes. 144)
Mais cette surprenant déclaration était elle si surprenante que ça?
Le New York Times n’avait il pas commencé un changement de
politique bien avant ce mea culpa médiatique et médiatisé ?
Le revirement soudain du journal semble pourtant avoir débuté
plusieurs jours avant le 26 mai 2004
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